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Rapport du maréchal Soult sur la bataille d'Orthez donnée le 27 février (6 mars 1814)
« L'armée ayant
été obligée, par suite du mouvement de l'ennemi,
à repasser sur la rive droite du gave de Pau après avoir
successivement défendu tous les passages de la rivière et
les positions, se trouvait réuni le 26 février en
arrière
d'Orthez.
« Le 15e chasseurs à cheval gardait le cours du
gave et observait les gués depuis Orthez jusqu'à Peyrehorade.
« Le général de division Soult avec trois autres régiments
de cavalerie et le 25e d'infanterie légère observait les gués entre
Orthez et Pau.
« Le 22e chasseurs à cheval et la légion des gardes
nationales des Hautes-Pyrénées étaient en avant de Pau, sur la rive gauche du
gave, pour observer la colonne ennemie qui s'était portée en avant de Navarrenx
et qui menaçait de déboucher par Monein. Deux autres régiments de cavalerie
étaient en réserve en arrière d'Orthez.
« L'armée ennemie était en position sur la rive gauche du
gave, ayant ses principales forces devant Orthez et prolongeant sa ligne jusque
devant Peyrehorade.
« Le 26 à 3 heures après midi, rentrant de reconnaissance,
je trouvais dans Orthez, M. le colonel Faverot, du 15e chasseurs à
cheval, qui venait rendre compte en personne que plusieurs colonnes ennemies
avaient passé le gave et que son régiment, était vivement poursuivi, ne se
trouvait plus qu'à une lieue d'Orthez. Je lui témoignai mon extrême
mécontentement qu'il eût quitté son poste pour venir faire ce rapport, lequel
pouvait être porté par un officier, et je le renvoyai à son régiment. Depuis,
il m'a été rendu compte que l'ennemi avait commencé le passage le 25 du côté de
Cauneille; cependant M. le colonel Faverot, qui devait avoir des postes sur ce
point, n'en a rien dit. Les deux fautes que cet officier a commises sont très
graves; elles pouvaient compromettre le salut de l'armée. J'ai ordonné qu'il
fût traduit devant un Conseil d'enquête.
« Aussitôt je fus instruit de la marche de l'ennemi, je me
portai aux 1ère et 2ème divisions, commandées par le Cte d'Erlon, qui étaient en
position sur le contrefort venant des hauteurs de Saint-Boës, qui descend vers
le village de Castetarbe; la tête de colonne ennemie était déjà à Baïgts et
l'on voyait deux autres colonnes très fortes descendre l'une par la route de
Salies et l'autre des hauteurs de Sainte-Suzanne, pour gagner le gué qui est
en-dessous de Berenx. Un bataillon que M. le Cte d'Erlon avait laissé pour garder ce gué
soutint, avec le 15e chasseurs à cheval, le tiraillement de l'avant-garde
ennemie et donna le temps aux divisions de se former. La nuit fit cesser cet
engagement.
« J'étais résolu de marcher à la rencontre du premier corps
ennemi qui s'engageait et de l'attaquer au moment du passage. La faute du
colonel Faverot ne m'en laissait point la faculté; toute 1'armèe se trouvait en
présence et je due à l'instant même prendre des dispositions pour soutenir le
combat. A cet effet j'ordonnai à M. le Lieutt Gal Cte Reille de se porter avec les 4ème et 5ème sur les hauteurs de Saint-Boës, appuyant sa droite à ce village et
prolongeant la grande route de Dax. Les troupes du général Pâris furent mises à
sa disposition pour former sa réserve.
« M. le Lieutt Gal Cte d'Erlon eut ordre de retirer pendant la
nuit les 1ère et 2ème divisions qui étaient en position à cheval sur la
grande route de Bayonne et de les établir à la naissance du contrefort en
arrière de sa droite, de manière à soutenir au besoin M. le Cte Reille, à
empêcher l'ennemi de se porter sur Orthez et à défendre d'ailleurs cette
position.
« Je donnai ordre à M. le Lieutt Gal Clausel de
porter aussi pendant la nuit la 6e division commandée par le général
Villatte, qui était sur le plateau de Souars, sur les hauteurs à droite du
village de Rontun, de manière à former une nouvelle réserve pour les divisions de
MM. Les lieutenants-généraux comte Reille et comte d'Erlon et à soutenir au
besoin la 8e division commandée par M. le Cte Harispe qui fut
chargée de défendre Orthez en s'échelonnant en arrière jusqu'à la 6e
division.
« Ainsi; l'armée appuyait sa droite à Saint-Boës et sa
gauche à Orthez. La position était bonne, les troupes étaient bien disposées et
le 27 au point du jour chacun était a son poste; la reconnaissance que je fis
me confirma dans l'espoir d'un succès marquant, ou du moins que si l'ennemi me
forçait dans cette position, il le payerait chèrement. La supériorité des
forces qui se présentèrent ne me permit d'obtenir que ce second résultat.
« A neuf heures du matin l'ennemi commença son attaque sur
la droite du village de Saint-Boës. Le 12e léger, qui s'y trouvait,
se conduisit vaillamment. Bientôt elle devint générale sur toute la ligne. La 4e
division qui tenait l'extrême droite et la 1er division qui était en
avant du centre, résistèrent pendant plus de trois heures aux efforts de
l'ennemi. La partie du village de Saint-Boës que nous occupions fut prise et
reprise cinq fois. Dans une de ces charges, le général de brigade Béchaud fut
tué; le général de division Foy fut grièvement blessé à l'attaque d'un mamelon
d'où l'ennemi fut repoussé en désordre; ce fâcheux événement occasionna un
instant de fluctuation dans sa division qui dut se rapprocher de la ligne, et
obligea M. le Cte Reille à céder un peu de terrain sur sa droite. Dans cette
seconde position le combat continua avec le même acharnement qu'auparavant et
la 8e division se trouvait engagée sur le front d'Orthez, ainsi que
sur sa gauche, par une colonne ennemie qui passa le gave à un gué au-dessus de
Souarns et força à la retraite un bataillon du 115e de ligne placé
pour le défendre.
« Le mouvement que M. le Cte Reille avait été forcé de
faire sur sa droite facilita l'ennemi pour déployer plus de troupes, en même
temps que de nouvelles masses se présentèrent devant la 1er division;
les 5e et 8e divisions, ainsi que celle du général Pâris
furent disposées pour soutenir l'attaque et arrêter les efforts de l'ennemi. En
ce moment, le général Soult reçut l'ordre de faire charger un escadron du 21e
chasseurs par la grande route d'Orthez. Ce mouvement eut lieu avec une grande
impétuosité, et un bataillon ennemi se trouvait pris; mais cet escadron s'étant
emporté dans sa charge et ayant manqué le chemin par où il devait passer pour
revenir, fut obligé d'abandonner sa prise et de rentrer par la même route qu'il
avait tenue, ce qui lui fit éprouver des pertes.
« La colonne ennemie qui avait passé au gué de Souarns
faisait en attendant des progrès sur la gauche de l'armée et menaçait déjà la
communication sur Sallespisse. M. le Lieutt Gal Clausel disposa de deux
bataillons de conscrits qui venaient d'arriver, pour garnir la Motte-de-Tury,
et il employa le 10e chasseurs à cheval ainsi que la brigade Baurot
de la division Harispe pour contenir l'ennemi.
« J'arrivai dans cet instant à la gauche, et je vis que
l'armée ne pourrait se maintenir dans cette position sans être compromise;
alors j'ordonnai la retraite sur Sault-de-Navailles : le mouvement de la droite
s'opéra successivement d'une ligne à l'autre. La 2e division avait
été disposée par M. le Cte d'Erlon pour remplacer sur la ligne les divisions aux
ordres de M. le Cte Reille et lorsqu'elle se retira elle fut à son tour
remplacée par la 6e division commandée par le général Villatte. Ainsi
l'armée arriva sur la rive droite du Luy-de-Béarn, se battant par échelons,
sans être entamée. La nuit fit cesser le combat.
« La bataille d'Orthez est honorable pour les armes de
l'Empereur. Les troupes n'ont cédé qu'à la grande supériorité numérique de
l'ennemi; elles se sont battues avec valeur : toutes les divisions et les
généraux qui les commandaient méritent des éloges. MM. les lieutenants généraux Cte Reille, Cte d'Erlon et baron Clausel ont très bien manœuvré.
L'artillerie commandée par M. le général de division Tirly, a parfaitement
servi. Les 10e et 21e chasseurs à cheval qui ont eu
occasion de s'engager ont justifié leur ancienne réputation.
« La perte que l'armée a éprouvée ne peut
être exactement
connue (l'état en sera joint à ce rapport), attendu que
beaucoup de militaires
qui se sont égarés pendant la nuit ont pris de fausses
directions et ne sont
pas encore rentrés; il en arrive à tout instant, mais
d'après les rapport qui
m'ont été faits et les états qui m'ont
été soumis, ma perte peut être
évaluée à
2.500 hommes hors de combat, tués, blessés ou
resté au pouvoir de l'ennemi. Le
nombre des prisonniers et des 430, dont plus de la moitié
blessés restés sur le
champ de bataille, et les autres, la plupart conscrits, pris isolement.
Il y a
aussi douze officiers parmi les prisonniers.
« Nous avons également perdu 12 bouches à feu et deux
caissons; les chevaux de deux pièces furent tués en totalité et il fut
impossible de les amener. Les trois autres ayant tiré leur dernier coup de
mitraille et ayant également perdu une partie de leurs chevaux, étaient ramenés
à la prolonge par les canonniers et le 47e régiment de ligne qui
malheureusement se trouvèrent engagés dans un faux chemin d'où il ne put le
sortir. C'est dans ce moment que M. le colonel Dein du 47e disparut
: on le croit tué ou blessé, au pouvoir des ennemis; son cheval est revenu. C'est
une perte pour le régiment.
« M. le colonel Monot, du 21e léger, et M. le
colonel Branger du 32e de ligne ont été blessés, ainsi que le chef
de bataillon Lamorlette, du 12e d'infanterie légère, qui a reçu
quatre coups de feu et n'a pas cessé de commander. Le chef de bataillon Deniset
du 27e de ligne, a été aussi blessé, et plusieurs autres officiers
dont les noms seront joints à l'état des pertes.
« L'ennemi a souffert considérablement; l'on peut, sans
exagérer, évaluer ses pertes au moins à 6.000 hommes; des rapports authentiques
venus d'Orthez assurent qu'il y était venu plus de 4.000 hommes de leurs
blessés et des prisonniers qui se sont échappés après avoir parcouru le champ
de bataille, ont dit qu'ils y ont vu quatre cadavres ennemis pour un français.
L'on a aussi rapporté que lord Wellington a reçu une forte contusion à la
cuisse; d'autres ont prétendu qu'une balle lui avait enlevé les chairs. Nous
n'avons fait que 50 prisonniers dont 3 officiers anglais.
« Je devrais citer tous les corps, tous les généraux et tous
les officiers soit de troupe, soit d'état-major, car tous ont bien fait leur
devoir; mais l'énumération en serait trop longue; je ferai cependant mention
particulière de M. le Lieutt Gal Cte Gazan, chef d'état-major
général, duquel j'ai eu à louer le dévouement, de M. le général de division
Taupin, de M. le général de division Cte Harispe et de M. le général de
division baron Foy et des généraux de brigade Rey, baron Saint-Paul, Dauture,
Baurot, Fririon, Berlion, ainsi que de l'adjudant commandant Gasquet, qui
remplit les fonctions de général de brigade, grade qu'il mérite depuis
longtemps, et de l'adjudant commandant Jeannet.
« Le général de brigade Béchaud, qui a été tué dans une
charge, était un officier d'un mérite très distingué et d'une grande valeur; sa
perte est vivement sentie.
« J'aurai l'honneur de remettre à votre V. E. les demandes de
récompenses qui ont été méritées dans cette journée en la priant de vouloir
bien la présenter à l'Empereur.
Rabastens, le 6 mars 1814
Maréchal duc DE DALMATIE
Source : "La bataille d'Orthez (27 février 1814)" Louis Batcave.
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