Témoignages
sur la bataille d'Orthez
William F. P. Napier
(Employé à l'état-major de lord Wellington)
«
Le 25, au point du jour, lord Wellington, avec quelques cavaliers et du
canon, rejeta de Magret dans le faubourg d’Orthez, l’arrière-garde de
Clausel qui couvrait le pont de cette ville sur la rive gauche, et
canonna les troupes françaises qui se trouvaient au-delà de la rivière.
Les Portugais de la division légère perdirent vingt-cinq hommes, en
tiraillant avec les Français dans les maisons pour empêcher la
destruction du pont.
Les 2ème et 6ème
divisions, la division légère, les Portugais d’Hamilton, cinq régiments
de cavalerie et trois batteries se trouvaient alors réunis devant
Orthez; la 5ème division et une brigade de cavalerie étaient en avant du pont rompu de Bérenx, à environ cinq milles en dessous du gave ; les 4ème et 7ème divisions, avec la cavalerie Vivian, étaient en avance de Peyrehorade, d’où Foy se retira par la grande route de Bayonne.
Les affaires étaient dans cette situation, quand Morillo reçut l’ordre
d’investir Navarreins. Et comme les bataillons de Mina n’offraient
point une garantie assurée contre les efforts combinés de la garnison
de Saint-Jean-Pied-de-Port et de la population guerrière de la vallée
de Baigorry, cinq régiments anglais, qui étaient retournés sur leurs
pas pour recevoir des effets d’habillement et qui rejoignaient
séparément, reçurent l’ordre de rester en observation à Saint-Palais,
et de se relever l’un l’autre à mesure qu’ils arriveraient.
Dans la matinée du 26, Beresford, voyant que Foy avait abandonné les
ouvrages établis à Peyrehorade, passa le gave, partie sur le pont de
pontons, partie à un gué dont le courant était si for, qu’une colonne
de la 7ème division faillit d’être entièrement emportée. Il avait auparavant détaché le 18ème
hussards à la recherche d’un gué qui existait plus haut. Un meunier le
leur ayant indiqué, ils le traversèrent, gagnèrent la grande route à
mi-chemin environ de Peyrehorade à Orthez, et repoussèrent un corps de
cavalerie française sur Puyoo et Ramous. Les Français, s’étant
ralliés sur leurs réserves, firent volte-face, et culbutèrent la
plupart de ceux qui s’étaient lancés à leur poursuite ; mais ils
n’osèrent pas attendre le choc du corps principal, qui se trouvait
renforcé par la brigade Vivian et commandé par Beresford en
personne(1). Dans cette affaire, le major Sewell, officier
d’état-major, qui s’était souvent distingué par sa bravoure, se
trouvant sans épée, arracha un énorme pieu d’une haie, et, à l’aide de
cette arme singulière, il renversa deux hussards, et n’abandonna le
combat que lorsqu’un troisième la lui eut brisée dans les mains.
Beresford dirigea alors un détachement vers Habas, sur la gauche, pour
intercepter les communications de l’ennemi avec Dax, et lord Wellington
donna immédiatement ordre à la cavalerie de lord Edouard Somerset et à
la 3ème division de passet le gave situés au-dessous du pont
rompu de Bérenx. Il envoya ensuite Beresford prendre position pour la
nuit sur quelques hauteurs près du village de Baigts, et s’occupa
lui-même de jeter un pont à Bérenx, de façon qu’après avoir fait faire
à son aile droite un circuit de plus de cinquante milles, il la
réunissait de nouveau à son centre, et s’assurait une communication
directe avec Hope.
Lord Wellington avait employé les journées du 25 et du 26 à reconnaître soigneusement la position de Soult.
Le pont d’Orthez ne pouvait être aisément forcé. Cette ancienne et
belle construction consistait en plusieurs arches irrégulières, avec
une haute tour au centre, dont la porte avait été murée par les
Français ; l’arche principale en avant de la tour était minée, et les
maisons situées à chaque extrémité du pont contribuaient à sa défense.
Au dessus et au-dessous de ce pont, la rivière était profonde et son
lit rempli de roches à fleur d’eau; mais au-dessus de la ville, son
cours s’élargissait, et ses rives abaissées offraient plus de facilité
pour effectuer un passage. Le premier projet de lord Wellington avait
été de passer en cet endroit avec les troupes de Hill et la division
légère ; mais lorsqu’il apprit que Beresford avait traversé le gave, il
changea tout à coup de résolution, et, comme nous l’avons vu, fit
passer la 5ème division sur le pont qu’il avait jeté à
Bérenx. Cette opération fut couverte par Beresford, tandis que
l’attention de Soult était détournée par de continuelles escarmouches
qui avaient lieu dans les faubourgs d’Orthez, par l’apparition des
colonnes de Hill, et par la présence de Wellington lui-même, qui en
reconnaissant la position près du pont, se montrait tellement à
découvert, qu’il devint le pont de mire des artilleurs ennemis.
Lorsque le général anglais vit que Beresford et Picton avaient passé la
gave, il jugea que Soult n’accepterai pas la bataille. Ses émissaires
lui rapportaient, d’ailleurs, que l’armée française exécutait déjà sa
retraite, circonstance qui méritait d’être examinée, parce que les
opérations du lendemain ne pouvaient être justifiées que par le succès.
On savait alors que Hope avait heureusement passé l’Adour. L’ordre fut
envoyé à cet officier général d’établir une ligne de communication avec
Port-de-Lannes, où in pont permanent devait être jeté au moyen de
bateaux amenés d’Urt. On s’assura de cette manière une ligne directe de
communication avec l’armée qui était devant Bayonne. Mais lord
Wellington sentit qu’il allait pousser ces opérations plus loin que ses
forces ne lui permettaient, si le maréchal Soult recevait des renforts
du maréchal Suchet. Dans cette hypothèse, il appela les Espagnols de
Freyre, et ordonna à ce général de passer l’Adour, au-dessous de
Bayonne, avec deux de ses divisions et une brigade d’artillerie
portugaise, et de le rejoindre à Port-de-Lannes.
Les Andalous d’O’Donnell et les troupes d’Anglona reçurent également
l’ordre de se tenir prêts à entrer en France.
Mais ce ne fut qu’avec la plus grande répugnance que Wellington se décidé à donner des ordres.
La faible résistance qui lui avaient opposé les Français dabs le pays
difficile qu’il avait traversé ne lui donnait pas lieu de craindre les
entreprises de l’armée de Soult. Mais le danger d’une guerre
d’insurrection le jetait dans une perplexité extrême : « Maintenez,
écrivait-il au général Freyre, maintenez la plus stricte discipline ;
car, sans cela, nous sommes perdus ». Et il publia une proclamation par
laquelle il autorisait les habitants des contrées envahies à recourir
aux armes et à s’organiser sous la direction des maires de leurs
communes, pour le maintien de l’ordre et la conservation de leurs
propriétés. Il les invitait à arrêter les maraudeurs et les traînards,
et à les diriger sur le quartier général avec les preuves de leurs
délits, leur promettant de punir les coupables et d’indemniser les
propriétaires des dommages qu’ils auraient soufferts. Il confirma en
même temps dans leurs fonctions toutes les autorités locales qui
dédiraient les conserver, sous la seule condition de n’avoir aucune
relation politique ou militaire avec les départements encore occupés
par l’armée françaises. Cette proclamation ne resta pas sas effets ;
car, dans la nuit du 25, les habitants d’un village situé près de la
route qui conduit de Sauveterre à Orthez, tuèrent un soldat anglais et
en blessèrent un second qui, avec d’autres camarades, se livraient au
pillage. Lord Wellington fit exécuter ce soldat blessé pour servir
d’exemple, et il obligea un colonel anglais à quitter l’armée, pour
avoir souffert que ses soldats détruisissent les archives municipales
d’une petite ville.
Soult ne songeait nullement à
opérer sar retraite. Les mouvements rétrogrades qu’il avait faits
précédemment avaient été effectués avec ordre. Son armée était
concentrée sur le gave, et tous les ponts avaient été détruits, à
l’exception de celui d’Orthez, belle et solide construction, dont
l’ancienne maçonnerie avait résisté à la mine. Un régiment de cavalerie
avait été détaché sur la droite pour surveiller les gués jusqu’à
Peyrehorade ; trois autres régiments, avec deux bataillons
d’infanterie, sous les ordres de Pierre Soult , éclairaient les gués
entre Orthez et Pau ; et un corps, composé de cavaliers et de
gendarmes, protégeait cette dernière ville contre les incursions de
Morillo. Deux régiments de cavalerie restaient avec l’armée.
L’intention du général français était de tomber sur la tête de la
première colonne qui tenterait de traverser le gave. Mais la négligence
de l’officier commandant le poste stationné à Puyoo, qui avait laissé
passer, comme nous l’avons vu, les husssards de Vivian, le 26, sans
faire la moindre opposition et sans même en donner avis, permit à
Béresford d’exécuter en sûreté son mouvement ; tandis qu’autrement, ce
général aurait pu être attaqué par les deux tiers au moins de l’armée
française. Ce ne fut qu’à trois heures de l’après-midi que Soult eut
connaissance de sa marche, et déjà les colonnes alliées étaient près de
Baïghts, sur le flanc droit de l’armée française ; leurs éclaireurs
avaient atteint la route de Dax, sur les derrières, et l’on apercevait
la 6ème division et la division légère qui descendaient, par
différentes routes, des hauteurs situées au delà de la rivière et se
dirigeaient vers Bérenx (2).
A la faveur d’un
combat que soutint, près de Baïghts, un bataillon d’infanterie qui
arrivait par le pont de Bérenx, et qui avait été rejoint par la
cavalerie venant de Puyoo, il porta promptement les divisions d’Erlon
et Reille sur la nouvelle ligne, en travers de la route de Peyrehorade.
La droite s’étendait jusque sur les hauteurs de Saint-Boès, le long
desquelles passe la route d’Orthez à Dax, et les troupes de Clausel
prolongeaient cette ligne jusqu’à Caste-Tarbe, village situé près du
gave. Après avoir ainsi formé une ligne qui devait momentanément tenir
Béresford en échec, il fait ses dispostions dans le dessein d’accepter
le combat le lendemain matin, et ordonna à l’infanterie de Villatte et
à la cavalerie de Pierre Soult de travers Orthez pour aller prendre
position de l’autre côté de cette ville. Ce fut ce mouvement qui donna
lieu aux émissaires de lord Wellington de lui rapporter que l’armée
française opérait sa retraite.
La nouvelle ligne choisis par Soult occupait une chaîne de collines dont une partie était boisée.
Au centre de cette position se trouvait un mamelon d’où partaient des
arêtes longues et étroites qui, s’étendant sur la gauche des Français
vers la grande route de Peyrehorade, et sur leur droite par Saint-Boës
vers l’église de Baïghts, formaient un demi-cercle en face des alliés.
Cette ligne, sur presque toute son étendue, était protégée par un ravin
profond et marécageux, traversé par deux autres petites crêtes qui
partaient également de la hauteur principale.
La
route d’Orthez à Dax passait en arrière du front de cette ligne, près
du village de Saint-Boès, et de là elle longeait les hauteurs qui en
formaient le flanc droit.
En arrière du centre, se développait, sur
une longueur de plusieurs miles, une chaîne de collines onduleuses et
couvertes de bruyères ; mais en arrière de la droite, le pays était
plat et marécageux.
Derrière l’aile gauche, se trouvait la ville
d’Orthez, bâtie au bord de la rivière sur le penchant d’une colline
assez élevée, au sommet de laquelle existait une ancienne tour.
Le général Reille, ayant sous ses ordres les divisions Taupin, Roguet
et Paris, commandait la droite, il occupait tout le terrain compris
entre le village de Saint-Boès et le centre de la position.
Le comte d’Erlon, qui commandait les divisions Foy et Darmagnac, se
trouvait à la gauche de Reille. Il plaça la première de ces divisions
le long d’un plateau qui s’étendait vers la route de Peyrehorade, et
mit la seconde en réserve. La division Villatte et la cavalerie furent
placées au-dessous du village de Rontun, c’est-à-dire sur les collines
découvertes situées en arrière de la position principale. De cette
manière, la division Villatte, dont la droite commandait la plaine
situées au-delà de Saint-Boès, et dont la gauche se trouvait déployée
vers Orthez, fournissait une réserve à d’Erlon et à Reille.
Harispe,
qui, aussi bien que Villatte, se trouvait sous les ordres de Clausel,
occupait la ville et le pont d’Orthez, ayant un de ces régiments près
du gué de Souars au-dessous de cette ville (3).
D’après ces dispositions, l’armée française s’étendait depuis
Saint-Boès jusqu’à Orthez ; mais la masse principale était réunie vers
le centre. Douze pièces de canon accompagnaient le troupe du général
Harispe, et douze autres pièces, établies sur la mamelon du centre,
balyaient tout le terrain situé au-delà de Saint-Boès. Seize pièces
étaient tenues en réserve sur la route de Dax.
Le 27, au point du jour, la 6ème
division et la division légère ayant passé le gave près de Bérenx sur
le pojnt de pontons jeté pendant la nuit, se dirigèrent, par un chemin
resserré entre des rochers, vers la grande route de Peyrehorade. La 3ème
division et la cavalerie de lord Edward Somerset étaient déjà formées
en colonnes de marche, avec des tirailleurs lancés en avant des
premières pentes de la hauteur boisée occupée par la gauche de d’Erlon.
En même temps, Béresford, avec les 4ème et 7ème
divisions et la cavalerie de Vivian, avait gagné les hauteurs de
Saint-Boèes et s’approchait de la route de Dax, qui passe au-delà de
ces hauteurs. Le général Hill resta avec la seconde division anglaise
et les divisions portugaises de Lecor, pour menacer le pont d’Orthez et
le gué de Souars. Entre Béresford et Picton, sur une étendue d’un mille
et demi, il n’y avait aucunes troupes ; mais à mi-chemin à peu près, et
précisément en avant du centre des Français, se trouvait un camp
romain, couronnant une colline isolée d’une forme bizarre et presque
aussi élevée que le centre de la position de Soult.
Il n’y avait dans ce camp, qui était couvert de vignes, qu’un très
petit nombre d’arbres. Lors Wellington, après avoir reconnu le pays sur
la gauche de Béresford, s’y arrêta pendant plus d’une heure à examiner
les dispositions faites par l’ennemi pour recevoir la bataille. Pendant
ce temps, les deux divisions sortirent de la rivière, mais les rochers
gênaient tellement la marche des soldats, que quelques hommes seulement
pouvaient se présenter de front, et pourtant leur point de réunion avec
la 3ème division n’était guère à plus d’une portée de canon
de l’ennemi. Le moment était critique. Picton ne cacha pas son
inquiétude ; mais Wellington loin de se troubler, continua ses
observations, sans paraître s’apercevoir du danger. Lorsque les troupes
eurent atteint la grande route, il renforça Picton avec la 6ème
division, et porta la division légère, par des chemins de traverses,
derrière le camp romain, reliant ainsi ses ailes, et se formant une
réserve centrale. Des chemins de traverse conduisaient de là, sur
l’église de Baïghts et à la route de Dax, et sur la droite à la route
de Peyrehorade. Deux autres chemins menaient en ligne droite, à travers
le marais, à la position des Français.
Ce marais,
la colline découverte sur laquelle se trouvaient rassemblées
l’artillerie et les réserves de Soult, la forme et la nature du
terrain, la disposition des hauteurs situées sur les flancs, tout se
réunissait pour empêcher une attaque de front, et les flancs
n’offraient guère plus de facilité. La gauche des Français présentait
bien à son extrémité une légère inflexion, au point où elle traversait
la route de Peyrehorade ; mais on eût inutilement lancé les troupes sur
cette ligne vers Orthez, entre d’Erlon et Caste-Tarbe, car la ville
était fortement occupée par Harispe, et couverte de ce côté par un
ancien mur et le lit desséché d’un torrent. Il était également
difficile de tourner le flanc de Saint-Boès, à cause du terrain bas et
marécageux où il aurait fallu faie passer les troupes au-delà de la
route de Dax, et les sommités des collines qui se prolongeaient
derrière la position des Français auraient permis à Soult d’opposer aux
alliés un nouveau et formidable front à angle droit avec sa position
actuelle.
Toute l’armée alliée aurait donc été
obligée de faire un mouvement de flanc circulaire, à portée du canon de
l’ennemi et à travers un pays très difficile, ou bien il aurait fallu
trop étendre la gauche de Béresford, et toute la ligne se fût trouvée
dangereusement affaiblie. On n’aurait pu d’ailleurs dérober ce
mouvement à l’ennemi, parce que les collines, quoique d’une hauteur
moyenne, se terminant brusquement de ce côté, permettaient de découvrir
toute la plaine, et que Soult avait placé des détachements de cavalerie
en observation sur le somment de chacune de ces collines.
Il ne
restait donc aux alliés d’autre parti à prendre que d’attaquer les
Français par leurs flancs le long des hauteurs, en portant leur
principal effort du côté de Saint-Boès, afin de
pouvoir, s’ils réussissaient, envelopper la droite de l’ennemi et
s’emparer de la route de Saint-Sever, pendant que Hill passerait le
gave à Souars et couperait la route de Pau, renfermant ainsi l’armée
battues dans Orthez. Cette opération offrait toutefois de graves
difficultés. Du côté de Picton, on pouvait aisément s’emparer de la
hauteur située sur le flanc près de la grande route, mais au-delà le
terrain s’élevait rapidement, et les Français, en grand nombre sur ce
point, présenté un front étroit hérissé de canons. Du côté de
Béresford, leurs positions n’étaient abordables que par le somment de
la hauteur de Saint-Boès, en venant de l’église de Baïghts et de la
route de Dax. Mais le village de Saint-Boès était fortement occupé, le
terrain immédiatement en arrière, resserré par le ravin, ne présentait
qu’un étroit passage, et les seize pièces placées en réserve sur la
route de Dax, à l’abri du feu de l’ennemi, étaient prêtes à foudroyer
et à écraser la tête de toute colonne qui déboucherait de la gorge de
Saint-Boès.
Bataille d’Orthez
Pendant toute la matinée, la 3ème
division escarmoucha sur la droite, où l’on entendait la canon par
intervalles, et la cavalerie française lança de temps à autre des
détachements sur chacun des flancs.
A neuf heures, Wellington commença une attaque sérieuse.
Les 3ème et 6ème
divisions, après s’être emparées sans difficulté de la partie
inférieure des hauteurs situées vis-à-vis d’elles, cherchèrent à
étendre leur gauche sur le front de l’ennemi, contre lequel elles
dirigèrent un feu de mousqueterie bien nourri. Mais c’était sur l’autre
flanc qu’avait lieu l’action principale.
De ce côté, le général Cole, tenant en réserve la brigade Anson de la 4ème
division, attaqua Saint-Boès avec la brigade anglaise Ross et les
Portugais de Vasconcellos : son but était d’atteindre le terrain
découvert qui se trouve au-delà de Saint-Boès. La lutte fut terrible et
très meurtrière : cinq fois Ross, se frayant un passage entre les
maisons éparses du ravin, porta le combat sur ce terrain ; mais, à
mesure que ses troupes se présentaient, l’artillerie française placée
sur la colline du centre accablait leur front, pendant que la mitraille
de la batterie placée en réserve sur la route de Dax les prenait en
écharpe. Dans ce moment les troupes fraiches de Taupin s’élancèrent en
faisant un feu meurtrier, et leur tirailleurs, se glissant le long des
maisons et dans les ravins à droite à et gauche, forcèrent les colonnes
désorganisées à se retirer dans le village. Ce fut en vain que les
alliés, avec une valeur désespérée, pénétrèrent plusieurs fois dans le
sentier étroit, et firent d’inutiles efforts pour en forcer le passage,
afin de pouvoir se déployer au-delà. Ross tomba dangereusement blessé,
et Taupin, dont les troupes bien soutenues étaient réunies en masse sur
ce point, défia tous les efforts des alliés.
Soult n’était pas moins heureux de l’autre côté.
La nature accidentée du terrain ne permis pas aux 3ème et 6ème
divisions d’engager assez de monde à la fois, en sorte que l’on ne fit
aucun progrès. Un petit détachement, que Picton avait envoyé sur sa
gauche et qui cherchait à gagner la plus petite des crête parant de la
hauteur du centre, fut tout à coup chargé par Foy, au moment où il
atteignait le sommet de cette hauteur, et culbuté du premier choc. Il
s’enfuit en désordre, laissant quelques prisonniers aux mains de
l’ennemi.
Pendant qu’on se battait avec
acharnement depuis près de trois heures du côté de Saint-Boès, lord
Wellington avait envoyé du camp romain un régiment de chasseur de la
division légère pour protéger le flanc droit de la brigade de Ross
contre les tirailleurs français ; mais cette disposition ne lui donna
aucun avantage, parce que les Portugais de Vasconcellos , accablé par
la vigoureuse attaque de l’ennemi, s’étaient enfuis en désordre, et que
les Français, se précipitant en avant, obligèrent les troupes anglaises
à se retirer de Saint-Boès, ce qu’elles ne firent qu’avec beaucoup de
peine.
Comme cet échec avait lieu au moment où le
détachement placé à gauche de Picton était poussé, la victoire semblait
se déclarer pour les Français. Soult s’apercevant , de la colline
découverte où il dirigeait les mouvements et qui était le nœud de ses
combinaisons, que l’ennemi se trouvait repoussé et culbuté sur touts
les points, fit avancer ses réserves pour compléter le succès de la
journée. On prétend que, dans le mouvement de joie que lui causa cet
état des choses il s’écria « Enfin je le tiens ! » Que le fait soit
vrai ou non, il n’y avait là aucune présomption de sa part, car les
circonstances étaient devenues fort critiques.
Cependant, un orage, qui s’était élevé derrière lui, d’abord presque
inaperçu au milieu du tumulte de la bataille, éclata bientôt avec une
violence irrésistible. Wellington, voyant que Saint-Boès était
inexpugnable, avait tout à coup changé son plan d’attaque. Il rapprocha
du général Ross la brigade Anson, qui jusque là n’avait pas été
engagée, et les soutint l’un et l’autre avec la 7ème division et la cavalerie Vivian, formant alors un corps nombreux vers la route de Dax ; puis il ordonna aux 3ème et 6ème divisions de se porter en masse sur le flanc gauche de Foy, en même temps qu’il dirigeait du camp romain le 52ème
régiment, avec l’ordre de traverser le marais, de gravir la hauteur
occupée par les Français, et d’attaquer le flanc et les derrières des
troupes engagées contre la 4ème division à Saint-Boès.
Le colonel Colborne, qui s’était si souvent distingué dans cette guerre, conduisit aussitôt le 52ème
régiment à travers le marais sous le feu de l’ennemi. A chaque pas, les
hommes enfonçaient jusqu’aux genoux, et, en quelques endroits, jusqu’à
la ceinture ; mais ils avançaient toujours en bon ordre, avec cette
résolution qu’on devait attendre des vétérans de la division légère,
qui n’avaient jamais rencontré d’égaux sur la champ de bataille.
Bientôt ils atteignirent le terrain solide, et gravirent les hauteurs
en ligne, au moment où Taupin lançait avec vigueur, par Saint-Boès, Foy
et Darmagnac jusqu’à là maître de leurs positions, et qui se trouvèrent
sérieusement attaqués sur l’autre flanc par la 3ème et 6ème division. Les soldats du 52ème
se précipitèrent, avec de grands cris et en faisant un feu roulant,
entre Foy et Taupin, culbutant dans leur course un bataillon français,
et renversant tout ce qui se trouvait sur leur passage. Le général
Béchaud de la division Taupin fut tué, et Foy fut dangereusement
blessé. Ses troupes, découragées par l’absence de leur chef, et,
surprise par une attaque si soudaine à laquelle personne ne
s’attendait, car la marche du 52ème n’avait été aperçue que
par quelques vedettes, furent mise en déroute. Le mouvement s’étant
rapidement communiqué à l’aile commandée par Reille, ce général fut
également contraint de se retirer et de prendre une nouvelle position
pour rétablir sa ligne de bataille (4). L’étroit passage qui existait
en arrière de Saint-Boès était alors ouvert ; Wellington, saisissant
l’occasion favorable, lança par ce défilé les 4ème et 7ème divisions, la cavalerie Vivian, deux batteries d’artillerie, et vint se former en bataille de l’autre côté.
Dès lors la victoire ne fut plus douteuse. La 3ème et la 6ème
divisions avait emporté la position de Darmagnac, et une batterie
qu’elles avaient établie sur un monticule prenait en écharpe les masses
françaises. Tout à coup un escadron de chasseurs arriva au galop sur
cette batterie par la grande route d’Orthez, et, passant rapidement sur
la droite, chargèrent quelques hommes de la 6ème division,
qui s’étaient trop avancés ; mais les chasseurs eux-mêmes s’étant
imprudemment engagés dans un chemin creux, ils y furent presque tous
massacrés. La 3ème et la 7ème division (ou 6ème ?) continuèrent leur mouvement en avant, et les ailes de l’armée firent leur jonction.
Le général français rallia toutes ses forces sur les collines
découvertes situées au-delà de la route de Dax, et soutint
vigoureusement le combat avec les divisions Taupin, Roguet, Paris et
Darmagnac, pour donner à Foy le temps de reformer sa division qui avait
été mise en désordre. Mais les ennemis contre lesquels il avait à
combattre n’étaient pas tous sur son front. Les alliés avaient livré
cette partie de la bataille avec les deux tiers seulement de leur
armée. Quand Wellington eut changé sont plan d’attaque, il ordonna à
Hill, qui était resté avec douze mille hommes d’infanterie et de
cavalerie en avant du pont d’Orthez, de forcer le passage du gave, et
cet ordre avait été donné aussi bien dans l’intention d’empêcher
Harispe de tomber sur le flanc de la 6ème division que dans
l’espoir de réussir à passer la rivière. Cette entreprise fut couronnée
d’un plein succès. Hill, qui n’aurait pu parvenir à forcer le pont,
passa la rivière à gué au dessus de Souars, et après avoir repoussé les
troupes qui s’y trouvaient postées, il s’empara des hauteurs voisines,
coupa les Français de la route de Pau, et tourna la ville d’Orthez.
Dans cette position, il menaça la seule ligne de retraite de Soult par
Salespice, sur la route de Saint-Sever, au moment même où le 52ème ayant ouvert le passage de Saint-Boès, les ailes des alliés opéraient leur jonction sur la position des Français.
Clausel ordonna immédiatement à Harispe d’abandonner Orthez et de se
rapprocher de Villatte, en se portant sur les hauteurs situées
au-dessus de Rontun, après avoir placé quelques bataillons de conscrits
sur une éminence appelée la Motte de Turenne,
qui se trouve de l’autre côté de la route de Saint-Sever. Lui-même, en
personne, chercha à tenir en échec le général Hill par le mouvement
menaçant de deux régiments de cavalerie et d’une brigade d’infanterie ;
mais le maréchal Soult arriva sur ces entrefaites, et ne jugeant plus
la position tenable depuis la perte de Souars, il donna ordre pour
opérer la retraite générale.
Cette opération état
extrêmement dangereuse à exécuter. Les collines couvertes de bruyères
sur les quelles les Français combattaient encore offraient à la vérité,
sur une certaine étendue, une suite de positions favorables à la
défense ; mais cette chaîne de collines se changeait bientôt en un
crête assez basse qui se prolongeait sur les derrières dans une
direction parallèle à la route de Saint-Sever, et, de l’autre côté de
cette route, à environ une portée de canon, il existait une crête
correspondante le long de laquelle s’avançait rapidement le général
Hill, qui, d’après la ligne des feux, avait deviné avec sagacité ce qui
se passait. A cinq milles de là se trouvait le Luy de Béarn ; et à
quatre milles plus loin le Luy de France, rivières profondes dont les
rives sont fort escarpées. Derrières ces rivières, la Lutz, la Gabas et
l’Adour traversaient la ligne. Une fois qu’on aurait traversé le pont
de bois de Sault de Navailles sur le Luy de Béarn,
ces cours d’eau couvriraient nécessairement la retraite ; toutefois il
semblait impossible de faite passer par une seule route et sur un seul
pont une armée battue et encore engagée de près sur son front. Ce fut
là néanmoins ce que Soult sut exécuter. Paris soutint le combat sur sa
droite jusqu’à que les troupes de Foy et celles de Taupin eussent eu le
temps de se rallier, et lorsque que le terrible choix du 52ème et les attaques de la 4ème et 7ème
divisions eurent forcé Paris à se retirer, Darmagnac s’avança pour le
couvrir, et combattit jusqu’au moment où la jonction des ailes alliées
se trouva complètement opérée. Alors ces deux généraux se retirèrent
ensemble, couverts à leur tour par Villatte.
Les
Français ne cédèrent ainsi le terrain que pas à pas, et firent leur
retraite en bon ordre sous le feu continu de la mousqueterie et de
l’artillerie des alliés, qui avançaient, mais non sans perdre beaucoup
d’hommes, principalement sir la droite, où la 3ème division
rencontra une forte résistance. Cependant, comme le danger d’être coupé
par Hill à Salespice devenant de plus en plus éminent, on commença à
presser les mouvements rétrogrades, ce qui entraina quelques
confusions. Hill, qui s’en aperçut, hâta sa marche, et bientôt on se
pressa vivement de part et d’autre. Les soldats français quittèrent
leurs rangs ; les uns se jetaient à travers champ pour gagner les gués,
tandis que d’autres se précipitaient vers le pont de Sault de
Navailles, en sorte que toute le pays se trouva couvert de bandes
éparses. Sir Stapleton Cotton, avec les hussards de lord Edward
Somerset, chargeant alors un petit corps envoyé par Harispe, sabra deux
à trois cent hommes. Le 7ème hussards en coupa environ deux
mille qui jetèrent leurs armes dans un enclos ; mais, à la faveur de la
confusion qui survint, la plus grande partie reprit ses armes et
parvint à s’échapper. Les alliés cessèrent leur poursuite au Luy de
Béarn.
L’armée française semblait être
entièrement dispersée ; mais le désordre était plus grand en
apparence qu’en réalité, car Soult passa le Luy de Béarn, et détruisit
le pont. Il ne perdit que six pièce de canons et moins de quatre mille
hommes, tant tués que blessés ou faits prisonniers. Quelques milliers
de conscrits jetèrent bas les armes, et nous verrons qu’un mois après
le nombre de traînards s’élevait encore à trois mille. Les Français
n’auraient pas aussi heureusement effectué le passage de la rivière, si
lors Wellington n’eût été blessé d’une balle au-dessus de la cuisse, ce
qui ne lui permettait qu’avec peine de se tenir à cheval. Il en résulta
que la poursuite manqua d’unité et de vigueur.
La
perte des alliés fut de deux mille trois cents hommes, dont cinquante
soldats et trois officiers furent faits prisonniers. Parmi les blessés
se trouvaient lord Wellington, le général Walker, le général Ross et le
duc de Richmond, connu sous le nom de lord March à cette époque. Il
avait servi depuis le commencement de la guerre dans l’état-major de
lord Wellington sans avoir jamais été blessé ; mais lorsqu’il fut nommé
capitaine dans le 52ème, il voulut, en brave soldat,
rejoindre son régiment la nui qui précéda la bataille. Quelques heures
après il reçut une balle dans la poitrine, apprenant ainsi à ses
propres dépens que les dangers auxquels sont exposés les officiers
d’état-major et les officiers de troupe sont trop souvent en raison
inverse de leur avancement (5).
Le général Berton, qui était resté
stationné entre Pau et Orthez pendant la bataille, avait été coupé par
le mouvement de Hill ; néanmoins suivant de côté la marche de ce
général, il se retira avec sa cavalerie par Mant et Samadet, et rallia
deux bataillons de conscrit sur sa route (6). »
(1) : Mémoire du colonel Hugues, du 18ème hussards.
(2)
: Rapport officiel de Soult – Mémoires du général Berton – Canevas des
faits d’armes, par le général Reille et le colonel de la Chasse.
(3) : Rapport officiel de Soult
(4) : Rapport officiel de Soult
(5)
: Cette remarque de l’auteur ne saurait s’appliquer à notre armée où
les officiers d’état-major partagent avec les officiers des autres
corps toutes les fatigues et touts les dangers de la guerre, sans être
plus favorisés que ces derniers par les chances d’avancement. Les
champs de bataille de l’Empire sont là pour constater l’exactitude de
cette assertion. (Note du traducteur)
(6) : Mémoire du général Berton.