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Témoignages
sur la bataille d'Orthez
Edouard Lapène (Capitaine d'artillerie dans la division du général Taupin)
« Cependant, le 26 dans la soirée, le maréchal Soult apprend,
non sans quelque surprise, du colonel du 15e de chasseurs à cheval,
chargé de garder avec son régiments les gués, et d’observer le cours de la
rivière depuis Puyoo jusqu’au confluent avec l’Adour, que le corps de cavalerie
britannique de sir Stapletton-Cotton, et les troupes d’infanterie du lieutenant
général Picton, ont passé le Gave au-dessous du pont rompu de Bourenx, et
paraissaient sur le plateau de Baïgts. Un second rapport, non moins alarmant,
préviens le maréchal que le corps commandé par Beresford est parvenu, dans la
nuit précédente, à franchir aussi le Gave au-dessous de Puyoo, proche de
Peyrehorade, à Cauneille et à la Hontan.
Enfin le général Goy visitant, le 26 à midi, avec son chef d’état-major,
les postes de la division le long de la rivière, avait aperçu distinctement des
mouvements de troupes qui semblent se diriger sur le gué de Bourenx, sans doute
pour rejoindre les colonnes jetées déjà dans la journée sur la rive droite. Ces
divers renseignements, parvenus à la fois au quartier-général, mettent de suite
à découvert les projets des coalisés ; il est même à craindre qu’après
s’être emparés des chemins et des hauteurs à l’ouest d’Orthez, ceux-ci ne
parviennent, au moyen d’un large mouvement, à tourner les positions de l’armée
française en arrière de cette ville : enveloppée alors par des forces bien
supérieures, cette armée risque de perdre, en un seul jour, le fruit de la
belle résistance qu’elle a jusqu’à ce moment opposée à l’ennemi. Aprés des marques non équivoques de mécontentement données
par le général en chef au colonel du 15e de chasseurs, sur la
lenteur de cet officier à signaler les démonstrations des alliés et leurs
progrès sur la rive droite du Gave de Pau, le maréchal ne dissimule point
combien la situation de l’armée française est critique : il doit se
décider sur-le-champ à présenter la bataille ou à battre en retraite. Cette
dernière détermination prise, l’armée française est ramenée sur la ligne de la Garonne. Le général en chef ne
réalise au plus que 32,000 combattants. Mais plein de confiance dans ses
troupes, il prend la résolution vigoureuse de prévenir, s’il en est encore
temps, le passage du Gave par ce qui peut rester d’armée ennemie sur la rive
gauche, et de marcher en outre sans remise à l’attaque des masses déjà réunies
en avant de Baïgts. A six heures du soir, l’aile droite de l’armée (division
Taupin et Rouget) est portée, par le lieutenant-général Reille, sur la route de
Dax ; le général Taupin occupe, à l’extrémité droite, le village de
Saint-Boës ; le général Rouget s’établit sur le plateau situé en
arrière ; la brigade Paris forme la réserve de cette aile et suit le
mouvement. Le centre commandé par le lieutenant-général Drouet-d’Erlon, entre
presque aussitôt en ligne ; la division Darmagnac, qui en fait partie, est
placée à gauche de la division Rouget, sur les hauteurs en avant de la route de
Dax et au nord de celle de Bayonne. La division Foy, qui est restée presque
toute la journée sous les armes, continue à occuper ses positions de la veille
sur la route de Bayonne, la droite appuyée au général Darmagnac, la gauche au
Gave. Les divisions Harispe et Villate, placées sous les ordres du général
Clausel, forment la réserve. La première, développée sur la rive droite du
Gave, est destinée à défendre le passage de la rivière en amont d’Orthez ;
la division Villate prend position au dessus du château, au village de Rontun,
pour garder la route de Saint-Sever ou de Mont-de-Marsan, qui est celle de la
retraite. Une portion de la cavalerie légère du général Soult est chargée
d’observer le corps du lieutenant-général Hill, encore stationné en face
d’Orthez, sur la rive gauche du Gave ; tandis que le général Berton, avec
quatre escadrons de chasseurs, un régiment d’infanterie légère et deux pièce de
canon, placé sur la route de Toulouse entre Pau et Lacq, doit garder aussi le
passage de la rivière. L’artillerie de l’armée, qui se compose de 50 bouches à
feu, et portée, par le général Tirlet, sur les points de la ligne où les effets
du canon peuvent être les plus efficaces ; sur ce nombre, 16 pièces
(celles du général Berton comprises) sont détachées, avec les troupes du
lieutenant-général Clausel, pour seconder ses mouvements. Le terrain occupé à l’ouest d’Orthez par les troupes de
l’aile droite et du centre de l’armée française, était une suite de rideaux
inégaux, d’un accès assez difficile, et d’environ trois quarts de lieue
d’étendue. La droite de ce côté s’appuyait à Saint-Boës, la gauche au gave.
Cette position était entièrement de circonstance : on a vu que le général
en chef voulait tomber brusquement sur la portion d’armée ennemie qui venait
d’effectuer le passage, et qu’il suppose encore réunie sur le plateau de
Baïgts ; mais les alliés avaient mis une telle promptitude, le 26 et la
nuit suivante, à franchir la rivière, que leur armée se trouvait en mesure, le
27 au point du jour, de prendre elle-même l’offensive et de marcher en avant.
Le général français, malgré ce contre-temps, n’en persiste pas moins à disputer
le terrain pied-à-pied, et prend la résolution spontanée de défendre la ligne
ou l’armée a, la veille, établi ses bivouacs. Une forte reconnaissance est
poussée vers l’ennemi en avant de Saint-Boës, le 27 à sept heures du
matin ; mais ce mouvement n’a pas de suite ; on procède même à une
marche rétrograde vers ce village, lorsqu’il n’est plus que douteux que la
majeure partie de l’armée coalisée, après avoir passé le Gave, marche à
l’attaque de notre ligne dans différentes directions. Les avant-postes restent calmes jusqu’à 8 heures du matin.
L’ennemi, dans l’intervalle, fait avancer des masses imposantes par la route de
Peyrehorade et de Bayonne. Ses premières colonnes paraissent néanmoins sur le
chemin de Dax ; ce sont les mêmes qui, sous les ordres de sir William
Beresford, avaient franchi le Gave au-dessus de la première ville que nous
venons de nommer. L’intention de ce maréchal, alors à la tête de deux divisions
d’infanterie anglo-portugaise et d’une brigade de cavalerie, était de tourner
notre droite, confiée au général Taupin, et de rejeter l’armée française sur
Orthez ; de s’emparer ensuite de la route de Mont-de-Marsan, et de nous
couper la retraite. Nos avant-postes se
replient sur les premières maisons de Boës, et ce village est à l’instant occupé
par le 12e d’infanterie. Le général Rey (1er brigade de
la division Taupin), fait mettre sans délai en batterie 4 pièces qui commencent
l’action. L’ennemi nous oppose aussi du canon ; mais son artillerie est de
suite démontée et cesse le feu. A la suite d’un tiraillement de courte durée,
le maréchal Beresford fait vivement aborder le village de Saint-Boës, et
parvient à débusquer le 12e, qui se retire en bon ordre et rejoint
sa brigade, rangée en bataille en arrière du hameau. Peu d’instants après, le lieutenant-général
Drouet-d’Erlon, s’engageait aussi avec trois divisions anglaises (Walker,
Picton et Clinton) arrivant de Baïgts par le grand chemin de Bayonne. La
division Rouget, placée entre les généraux Taupin et Drouet-d’Erlon, étant
encore en repose, ainsi que la brigade Paris en seconde ligne sur le même
point. Dans ce moment, un aide-de-camp vient annoncer au maréchal,
dont toute l’attention se porte sur Saint-Boës, qu’une des divisions de la
gauche ne tardera pas à être fortement engagée. « Dites à votre général,
repart vivement celui-ci, qu’il doit répondre à l’appel que nos braves
compagnons nous font de l’armée du Nord ; il faut attendre l’ennemi à la
baïonnette(*). » Cependant sir William Beresford, maître des premières
maisons de Saint-Boës, veut poursuivre ses succès et marcher en avant. Les
maisons du village, situées sur un plateau peu étendu, et rangées avec assez
d’ordre à droite et à gauche de la route, forment une espèce de défilé ;
ce défilé se prolonge aussi au delà du hameau, sur une langue étroite, bornée
des deux côtés par des ravins, qui empêchent la colonne d’attaque de se
déployer avec avantage. Cette circonstance est mise à profit ; nos canons,
en batterie sur le front de la division Taupin, sont chargés à mitraille et attendent
le moment où l’ennemi débouchera du village en colonne serrée. Celui-ci se
montre enfin, et les pièces commencent le feu. Les Anglais, foudroyés par ces
décharges meurtrières reçues à bonne distance, s’arrêtent tout-à-coup
chancellent ; à une seconde décharge, ils font volte-face. Abordés au même
instant à la baïonnette par la division Taupin, ils laissent le village rempli
de leurs morts. Trois fois l’ennemi marche avec la plus grande assurance contre
les batteries qu’il est sur le point d’enlever ; trois fois les régiments
de la division, secondés par leur artillerie, exécutant la même manœuvre ;
obtiennent le même succès. La défense à la gauche était soutenue avec une égale
vigueur. Placé à la tête de sa 1er brigade, dirigée par le général
Fririon, le général Foy, en position sur la route de Bayonne, avait jusque-là
repoussé les attaques opiniâtres de l’ennemi, et conservé son terrain. La 2e
brigade (général Berlier), en arrière et à droite, était restée en colonnes à
hauteur de l’ancien couvent des Bernardines, entre la route de Bayonne et celle
de Dax, prête à agir. .L’artillerie française gardait en outre partout une
supériorité bien marquée ; et la victoire, encore indécise, allait
visiblement pencher pour nous, quoique l’ennemi, deux fois plus nombreux,
développât sans cesse de nouvelles forces sur tous les points d’attaque. Lord Wellington, rebuté du mauvais résultat des mouvements
dirigés contre Saint-Boës, et de la résistance opposée à sa droite, sur la
route de Bayonne, allait, dit-on, suspendre son agression et ordonner la
retraite ; il se décide cependant à faire donner sa réserve, et à tenter,
par un dernier effort, de ramener la victoire dans ses rangs. La nature du
terrain oblige la division Rouget de sa gauche, au point où elle se raccorde
avec la division Darmagnac : l’objet du général anglais est de pénétrer
entre ces deux divisions, et de séparer l’armée française en deux. La forte
réserve d’infanterie et de cavalerie dont lord Wellington peut encore disposer,
lui permet de donner suite à son projet sans dégarnir sa ligne d’attaque ;
hors de cette condition, l’entreprise serait des plus hasardeuse. Ce général en chef fait donc avancer sur la division
Darmagnac la cavalerie des généraux Cotton et Sommerset, et porte sans délai la
division Alten contre la gauche du général Rouget. Celui-ci dirige un feu
meurtrier de son artillerie, tirant à la mitraille sur les têtes de colonnes
ennemies, au moment où elles se montrent au-dessus des sinuosités du terrain
qui d’abord nous dérobent leur marche. Ces têtes de colonnes sont renversées et
disparaissent ; mais leurs rangs
éclaircis se repeuplent sur-le-champ de nouvelles troupes ; et ces
renforts, malgré les pertes qu’ils essuient, continuent de marcher en avant
avec une rare intrépidité. Le projet de l’ennemi va donc réussir, et les
divisions françaises sont sur le point d’être séparées. Le général Darmagnac, hors d’état, malgré la bonne
contenance de ses troupes, de prévenir le danger qui le menace, ordonne la
retraite. Toute cette gauche eût été infailliblement compromise, si elle
n’avait pas suivi ce mouvement rétrograde, puisque les divisions Darmagnac et
Foy allaient se trouver coupées du reste de l’armée, et rejetées ensuite le
Gave. Cette dernière division était d’ailleurs, dans l’intervalle, fortement
engagée de front contre la colonne du lieutenant-général Picton ; les
ravages du canon ennemi sur la brigade Berlier engagèrent même le général qui
la commandait de se défiler derrière les murs de l’ancien couvent des
Bernardines, et de se faire aussi un abri des maisons qui avoisinent cet
édifice. En avant de ces points, la brigade Fririon défendait encore avec
vigueur les mamelons sur lesquels elle était assise ; mais le général Foy
venait d’être frappé presque mortellement d’une balle à l’épaule droite, et le
départ du champ de bataille d’un chef aussi intrépide avait jeté dans les rangs
un découragement sensible, dont les suites pouvaient être funestes : cet
évènement malheureux était donc un nouveau motif pour accélérer la retraite des
troupes du centre. Le mouvement se fait avec ensemble ; les 6e
léger ; 59e et 69e de ligne (Brigade Fririon),
résistent aux efforts multipliés de l’ennemi, en cédant le terrain peu à peu,
et se retirent en ordre de l’autre côté de la grande route d’Orthez à Dax. Cette
retraite est protégée par les 36e et 65e (2e
brigade), qui, déployés alors à droite et à gauche des maisons qui leur ont
jusque-là servi d’abri, opposent une vigoureuse résistance. La retraite des
deux divisions du centre était même presque entièrement exécutée, que le 36e,
commandé par le brave colonel Maitrot, défendait avec opiniâtreté sa première
ligne de bataille ; cette vaillante troupe dut à la fin céder à la force
des choses, et se replier sur sa division, dont le général Fririon venant de
prendre le commandement. Le lieutenant-général Drouet-d’Erlon, refusant sa gauche, se
retire parallèlement au Gave, et abandonne tout-à-fait les routes d’Orthez à
Bayonne et à Dax. Ce mouvement rétrograde isolé ne laisse pas le temps au
général en chef de donner des ordres, pour que la retraite de tous les corps
d’armée s’effectue simultanément ; le lieutenant-général que nous venons
de nommer, forcé d’opérer la sienne en arrière d’Orthez, entre le château et la
route de Dax, sur un terrain inégal, coupé de ravins et couver de broussailles,
ne peut lui-même, empêché par ces difficultés, conserver l’ordre parfait qui
jusque-là avait régné dans les deux divisions placées sous son commandement. Cependant le général Harispe, chargé de la défense d’Orthez,
et resté une partie de la journée en repos, venait d’entrée en ligne contre une
portion de la colonne du lieutenant-général Hill. Celui-ci, descendue des
hauteurs de Départ, avait passé la rivière au gué, au-dessus de Souhars, à
quelques centaines de toises d’Orthez, malgré la résistance de deux bataillons
de la brigade Baurot, qui, trop peu nombreux, s’étaient à la fin décidés à la
retraite. Le général Harispe, dont les communications avec la route de
Mont-de-Marsan risquent d’être coupées, si les coalisés, après un grand effort
sur sa gauche, parviennent à s’emparer, en arrière d’Orthez, du village de
Sallespice, placé au point de réunion des chemins que doit suivre l’armée
française ; Harispe, disons-nous, reçoit du lieutenant-général Clausel
l’ordre de céder le terrain. Cette retraite s’opère avec régularité ; mais
le canon du général Harispe, engagé dans un terrain peu favorable et mal
reconnu, ne peut rendre qu’un médiocre service : trois pièce restent même
au pouvoir de l’ennemi, sans avoir agi assez utilement pour nous dédommager de
leurs pertes. Durant l’exécution de ces mouvements sur la gauche de
l’armée française, les divisions Rouget et Taupin, et la brigade Paris, étaient
encore, à deux heures et demie du soir, inébranlables dans leurs positions, à
l’extrême droite de la ligne. Les alliés, maîtres cependant du terrain que la
retraite du lieutenant-général Drouet-d’Erlon leur avait laissé, se
renforçaient sur la gauche de Rouget, et s’avançaient dans un ordre menaçant
vers la rampe qui forme, à l’ouest d’Orthez, la route de Dax. Le général Soult
donne aussitôt au chef d’escadron Leclerc, du 21e de chasseurs à
cheval, de charge l’ennemi par cette route. Cette opération, exécutée avant
autant de succès que de bravoure, fait mettre bas les armes à un bataillon ennemi.
Toutefois, l’escadron emporté par son ardeur, s’engage ensuite dans un chemin
creux et inconnu, et les chasseurs essuient, en cherchant à rentrer dans la
ligne, une décharge meurtrière de mousqueterie fait à bout portant par des
Anglais embusqués sur ce point. Les prisonniers sont abandonnés, et un petit
nombre de braves de l’escadron parvient seul à se dégager, et à rejoindre la
division. La présence des coalisés, à gauche et presque sur les derrières des
troupes du lieutenant-général Reille, force celui-ci à ordonner la retraite
dont les autres corps lui ont donné le signal. Le général Rouget se dirige
presque aussitôt, mais sans précipitation, vers un chemin à angle droite sur la
route de Dax, désigné pour cette retraite. L’ennemi reste dès ce moment maître
de la route, car la brigade Paris, après lui avoir fortement disputé cette
possession, avait été forcée elle-même de se replier. Le général Taupin faisait encore face aux coalisés sur cette
route, mais perpendiculairement à la direction qu’elle suit. Placé, suivant son
habitude, à la tête des tirailleurs de la division, Taupin portait, depuis le
début de la journée, toute son attention sur les attaques vigoureuses du
maréchal Beresford contre le village de Saint-Boës, et secondait avec ses
régiments les effets meurtriers de son artillerie : celle-ci, trois fois
presque entourée, comme il a été dit, avait trois fois, par l’énergie et la
justesse de son feu, repoussé l’ennemi, et laissé les Français maîtres du cham
de bataille. Le général Taupin était donc étranger à la marche rétrograde
exécutée derrière lui par les divisions du centre, et ensuite par les troupes
des généraux Rouget et Paris, dont le résultat est la présence des coalisés sur
la route de Dax, et en queue des troupes françaises. Les communications sont dès-lors interrompues entre nous et
le reste de l’armée ; le général en chef voit la division Taupin presque
entourée ; il est forcé de l’envisager comme perdue, et déjà le général
Béchaud, commandant une de nos brigades, vient de rester mort sur le champ de
bataille. L’ennemi déploie cependant ses colonnes en face, sur les derrière et
sur le flanc gauche de la division Taupin ; il dirige en outre, sous nos
yeux, des masses pour la tourner par la droite. Alors seulement nos troupes, qui
viennent de rentrer pour la quatrième fois victorieuses dans Saint-Boës,
jettent un regard en arrière, et aperçoivent distinctement les Anglais, maîtres
de la route de Dax, s’avancer pour nous cerner. Les cris « nous sommes
coupés ! l’ennemi est sur la route ! » commencent à se faire
entendre dans les rangs. Nos régiments, déjà tourné, sans espoir aucun de salut
s’ils restent en place et s’obstinent à prolonger une défense inutile,
abandonnent à la fin la position si glorieusement défendue durant près de huit
heures, et se jettent, à droite, dans un ravin profond, seule issue qui leur
reste encore. Sir William Beresford, dégagé pour lors de tout obstacle, opère
sa jonction avec les généraux Picton et Alten sur la crête des hauteurs, et le
champ de bataille reste à l’ennemi. Les coalisés, maîtres de toutes les éminences et de la route
de Dax, marchent vivement sur la trace de nos colonnes pressées et se retirant
avec peine par un chemin creux et étroit, et nous écrasent du feu de leur
artillerie, qui, à cette portée, était des plus meutriers. La division Villate,
seule troupe qui n’eût point été engagée, est conduite par le général Clausel,
pour soutenir la retraite et protéger le mouvement de l’aile droite et du
centre de l’armée française, sur la route de Saint-Sever ; mais, avant
d’atteindre cette route, les troupes resserrées dans un chemin encaissé,
raboteux, où toutes les armes sont obligées de marcher confondues, foudroyées
en outre par l’artillerie ennemie, éprouvent un moment de désordre. La confusion
dans les rangs ne tarde pas à augmenter, quand on apprend que les corps du
lieutenant-général Hill, qui, d’après ce qui précède, avait franchi le Gave
au-dessus de Souhars, d’avance avec rapidité par cette même route. Le moment
est critique ; la précipitation augmente, et nos troupes éprouvent un
assez long intervalle de désunion et de désordre que rien ne peut prévenir.
L’armée française regagne dans cet état la grande route de Saint-Sever, au
village de Sallespice, avant que la colonne sur général Hill puisse atteindre
ce même point. La retraite se poursuit alors avec rapidité, mais aussi avec
plus d’ordre ; et l’armée arrive, vers six heures du soir, au défilé de
Sault-de-Navailles. Cette ville, située sur le Luy-de-Béarn, n’offrait qu’un
pont de bois pour le passage de la rivière : l’armée française risque
ainsi d’être atteinte et chargée par la cavalerie ennemie ; mais la rive
droite du Luy domine l’autre, et offre des éminences que l’on met sur-le-champ
à profit pour arrêter les alliés. Sur l’ordre du maréchal, le général Tirlet
devra sans délai faire mettre en batterie 12 pièces sur les hauteurs de
Sault-de-Navailles, à gauche de la route de Saint-Sever. Plusieurs compagnies
de sapeurs du génie, jusqu’à là en réserve, sont immédiatement dirigées, à
droite de la route, vers un mamelon surmonté d’un bouquet d’arbres ; avec
ordre de défendre cette position à outrance. Ce monticule sert bientôt de point
de réunion à plusieurs régiments et il s’y forme en peu d’instant une force
imposante. Ces mesures, d’où dépendent en grande partie le salut de l’armée
française, s’exécutent avec une rare précision. Malgré les encombres de
voitures, d’équipages et d’artillerie que présentent les rues étroites,
tortueuses et en contre-pente rapide de Sault-de-Navailles, les 12 pièces sont
mises en batterie par le général Tirlet lui-même, et commencent un feu des plus
vifs sur la cavalerie anglaise qui presse notre arrière garde. Arrêtes par ces obstacles imprévus, l’ennemi concentre ses
forces, pour marcher avec ordre au passage de la rivière qui le sépare de nous.
Les Français, durant cet intervalle, traversent le Luy sur le pont et dans les
gués adjacents, et prennent de suite la position sur l’autre rive. L’intention
du général en chef étant, au reste, de ne garder Sault-de-Navailles que le
temps nécessaire pour mettre à couvert les parcs d’artillerie, les équipages et
les blessés, l’armée française se porte, à l’entrée de la nuit, à deux lieue en
arrière, à Hagetmau, où le quartier-général venant de la précéder. La division
Villate, et la division de cavalerie légère du général Soult, sont chargées de
garder Sault-de-Navailles jusqu’à dix heures du soir ; c’est-à-dire, le
temps nécessaire à la rupture du pont, suivant l’ordre donné au premier de ces
généraux. Sault-de-Navailles est aussi occupé plus tard par le général
Harispe. L’arrière-garde de ce dernier, formée d’un bataillon de gardes
nationales du pays, et de détachements du 115e de ligne, avait
soutenu chemin faisant un engagement sérieux contre la cavalerie ennemie, et sa
perte s’était élevée à 200 hommes. Le général Berton se rend de son côté à
Hagetmau, par Mant et Samader, après avoir réuni à lui un bataillon de
conscrits qui allait rejoindre à Orthez. Placé, comme il a été dit, à Lacq, sur
la route de Pau, pour observer le cours du Gave, ce général avait ordre de se
retirer par Orthez sur Sault-de-Navailles, quand il y serait forcé par des
masses ; mais la prompte retraite de notre aile gauche, après que les
coalisés eurent passé le Gave, enleva au général français l’occasion de tomber
sur leur flanc droit ; Berton dut se border, en conséquence, à marcher
parallèlement à bous dans sa retraite sur Hagetmau, en menaçant toutefois la
droite de l’ennemi. La position occupée par l’armée française, dans la journée
du 27, n’était point, d’après ce qui précède, celle que son général en chef
voulait prendre : l’inébranlable résolution de disputer, malgré
l’inégalité du nombre, le terrain pied à pied, quand l’ennemi se porta
brusquement en avant, les 27 au matin, fut, on le répète, l’unique motif qui
décida le maréchal à rester sur place, et à se mettre de suite en mesure de
défense pour livrer une action générale. Il serait donc superflu de signaler
ici les défauts d’une position qui ne pourrait passer pour militaire, et que
laquelle les circonstances seules nous firent jeter les yeux. Les deux armées se battirent à Orthez avec la plus grande
intrépidité ; et, quoique l’ennemi fût deux fois à peu près supérieur en
nombre (il présente en ligne 70,000 hommes, et les Français mois de 35,000) le
succès de la bataille resta long-temps incertain. Il fut décidé en faveur des
coalisés, par la manœuvre audacieuse exécutée entre les divisions Rouget et
Darmagnac, et aussi par le passage du Gave de Pau, au-dessus de Souhars. La
bonne contenance des Français dans cette affaire mérite d’autant plus d’éloges,
qu’aux motifs de découragement puisés dans le souvenir d’une suite non
interrompue d’actions malheureuses, se joignait chez eux la perspective
désespérante d’efforts toujours infructueux, luttant contre un ennemi qui
opposait sans cesse plus du double de combattants. Nous perdîmes, dans la journée du 27, le général de brigade
Béchaud, resté mort sur le champ de bataille ; le général Foy y reçut une
blessure très grave qui nous causa long-temps de vives inquiétudes sur des
jours aussi précieux. Mais le sort, après l’avoir admis durant 22 ans à
partager la gloire et les périls de ses frères d’armes sur les champs de
bataille, lui réservait des triomphes non moins brillants dans une nouvelle
carrière ; et son langage à la tribune nationale, devait nous révéler un
de nos plus éloquents orateurs. Notre perte peut s’évaluer à 1500 morts et à
2500 blessés, dont 1500 restèrent au pouvoir des étrangers. La perte de ceux-ci
fut plus considérable, on la porte à 2000 morts ; nous apprîmes en outre
de militaire faits prisonniers dans cette journée et échappés plus tard des
mains de l’ennemi, qu’il fut recueilli à Orthez 4000 coalisés blessés et
seulement 1500 Français. Ceux-ci, condamnés à être prisonniers dans leur propre
pays, quelques-uns même dans leurs foyers, trouvèrent chez les habitants de
cette ville de dignes compatriotes. Les blessés, accueillis par les
particuliers, furent l’objet de soins affectueux : ces derniers allégèrent
de leur mieux les peines dont nos soldats étaient accablés, et favorisèrent
même l’évasion de quelques-uns d’entreux qui vinrent, quelques jours après,
proclamer à leurs drapeaux l’humanité de leurs compatriotes d’Orthez. Le même jour que nous livrions l’affaire de ce nom, le général
espagnol Morillo envoyait une sommation menaçante au gouverneur de
Navarreins ; celui-ci y répondit à coups de canon. La place de Jaca
capitula aussi le 27 février : des mouvements confiés au général Paris,
avaient été tentés à la fin de la campagne précédente, dans le dessein de
réapprovisionner ce poste important : mais ce projet ne put réussir, et la
place dut se rendre faute de vivres ; aux termes de la capitulation, la
garnison rentra en France sur parole.»
(*) : Les armées françaises venaient de remporter sur
les coalisés, dans le Nord, la victoire de Montereau le 18 févier.
Sources
: "Campagnes de 1813 et 1814 sur l'Ebre, les Pyrénées et la Garonne" - Edouard Lapène - Paris - 1823
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