Bataille d'Orthez - 27 février 1814 | |
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Témoignages
sur la bataille d'Orthez
« A Monsieur Léon Dufour, docteur médecin au quartier général de S. E. Monsieur le duc de l'Albufera (Armée de Catalogne). Vïc-de-Bigorre, le 10 mars 1814. Mon cher ami, je forme tous les jours le projet de vous écrire, mais nous sommes sans cesse en mouvement, et à peine j'ai le temps de me raser, et de plus j'ai le cœur si triste, tout ce qui se passe me fait tant de peine que je n'ai plus le courage de penser. Il faudra donc être asservis et pour comble de malheur, voir ces Espagnols que nous avons tant méprisés et tant maltraités, nous vaincre et se mieux conduire chez nous que nous chez eux La renommée vous aura instruit de notre bataille d'Orthez, où nous nous comportâmes assez bien pendant une heure ou deux mais quand la débandade s'y mit, je vous assure que je n'ai rien vu de tel, je fus jeté à bas de mon cheval par les fuyards pour comble de maux une colonne ennemie mena à coups de fusil notre arrière-garde à Salespisse. Au défilé de Sault de Navailles, ce fut une confusion du diable je fus encore là jeté par les fuyards avec mon cheval dans le Luy. Heureusement qu'il n'y a pas beaucoup d'eau le tout avec accompagnement de baies et de boulets anglais. Ce lord Wellington est heureusement très méthodique. Il n'a eu que nos blessés et cinq ou six de nos pièces. Il eut pu tout avoir mais content de nous avoir fait courir, il nous laissa coucher en repos à Hagetmau. Dès le jour de l'afaire, prévoyant fort bien ses résultats et les désordres que ne manqueraient pas de l'omettre nos braves, j'avais envoyé mon domestique fidèle, avec mes bagages chez vous à Saint-Sever, afin que le logement me fut réservé. Le 28, je vins dans votre ville natale ; votre frère, votre mère, vos soeurs m'atandaient et me reçurent comme un fils. Soyez tranquille tout s'est passé en ordre dans votre famille je les ai rassurés je leur ai dit ce qu'ils avaient à faire. Comme il est possible qu'ils ne vous puissent pas écrire de quelque temps, je me suis chargé de leur donner de vos nouvelles. Si vous voulez leur écrire, vous pouvez m'envoyer vos lettres j'aviserai au moyen de les faire parvenir. au reste, lord Wellington était encore avant-hier dans votre ville qui n'a rien souffert et si jamais nous y rentrons, votre famille sera commandée aux chefs qui y arriveraient les premiers. M. le maréchal a logé dans une grande maison contigüe à la votre. S'il n'y avait de quoi pleurer à tout cela, j'eusse ri de retrouver là ce vieux portrait où je ressemble à Toussaint Louverture. Le 2 mars, nous avons encore eu une bataille à Aire car, nous disputons le terrain pied à pied. Notre armée était à cheval sur l’Adour. Avec des soldats tels que les notres, il a falu encore s'en aler ce que nous avons fait de nuit, par un temps à ne pas mettre un chien dehors. Tous nos conscrits ont profité de l'occasion pour rentrer chez eux. A-t-ou aussi vu une plus sotte mesure que de nous envoyer des gens du pays. Quoiqu'il il soit, nous voilà aux environs de Tarbes, jusqu'à quand ? Je n'en sais rien. L'ennemi a envoyé quelques hommes à Oloron, où les habitans se sont très mal conduit. Il en a aussi envoyé à Pau, où l'on s'est mieux comporté. Le duc d' Angoulème joue au Roi dépouillé mais on prétend que les Anglais vont lui donner une petite armée pour faire valoir ses droits sur le Béarn. Ce que je crains le plus, c'est la guerre civile. Dax et Mont-de-Marsan sont au pouvoir de l'ennemi, de sorte que je ne puis plus rien savoir de Thore, ni de Dufau. Cependant ce qui me rassure, c'est que les Anglais ne se comportent pas mal. J'atans encore un mois et la belle saison pour me mettre la tête d'une bande que j'ai de choses sur le cœur que je ne puis vous écrire ? Avez-vous reçu ma dernière, où
je vous demandais quelques
notes sur Adieu, mon cher ami. Tachez de me répondre par l'estafete, vous pourriez remettre votre lettre au secrétaire de votre duc pour qu'il la mit dans le paquet du nôtre mais cachetez bien votre feuille, et que l'adresse soit bien lisible car notre maréchal a un peu le faible d'ouvrir tout ce qui peut l'ètre, sans qu'on s'y connaisse. Dites- moi comment vous êtes, ce qu'on dit chez vous, et si l'on vous a encore retiré du monde. Tout à vous de coeur. Bory de Saint-Vincent »
Sources : "Episodes de la guerre d'Espagne et de la retraite de France (1809 - 1814) d'après les nouvelles lettres de Bory de Saint-Vincent" - Ph Lauzun |