Bataille d'Orthez - 27 février 1814

 

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Témoignages sur la bataille d'Orthez

 

Mémoires du Capitaine Jean-Baptiste Lemonnier Delafosse

COMBAT de SAINT-BOES.


« M. le maréchal, tout en continuant sa retraite, ne cédait le terrain qu'après l'avoir défendu ; c'est ainsi qu'il arrêta son armée sur les hauteurs dominant la ville d'Orthez, au lieu dit : Saint-Boès, où, malgré l'infériorité de ses forces, il présenta, la bataille aux masses de lord Wellington. Une position favorable, un demi-cercle concave de mamelons, offrait un champ de bataille très-défendable; sur chaque monticule, comme sur des bastions, on plaça des batteries, leurs intervalles, garnis d'infanterie en ligne, figuraient des courtines, et l'ennemi en attaquant avait presque un siège à faire en rase campagne.
Assise de cette sorte, notre armée devait immanquablement être victorieuse tout en défendant sa retraite, surtout contre des forces ennemies débouchant à notre gauche, forcées de gravir des coteaux, et ne pouvant de suite se former en ligne.
La gauche de la position de Saint-Boès pouvait, dans cette partie, être considérée comme l'un des côtés du fameux plateau de Rivoli. Le général Foy l'occupait avec sa division, bien épaulée par des batteries d'artillerie, attendant de pied ferme l'ennemi, qui, bien que foudroyé à la première attaque, n'en tenta pas moins une seconde sans aucun succès. Alors l'ardeur du combat, cette furia francesa, tant de fois favorable, entraîna toute la division, qui, se précipitant sur l'ennemi s'avança au point de masquer les batteries protectrices de son mouvement; seule, elle ne pût résister, fut ramenée, mais revint à la charge... Ce dernier élan allait être décisif lorsque le général Foy, fut atteint d'une balle en pleine poitrine, et le commandement se trouva paralysé. Alors cette division dût supporter tout le choc des force assaillantes...
La secourir, l'appuyer eût été impossible sans dégarnir la ligne de bataille préparée à recevoir les masses ennemies montées au-delà d'Orthez, gagnant déjà notre droite, pour la tourner; d'autres, marchaient sur notre centre la réserve trop éloignée, le maréchal envoya le 21e de chasseurs à cheval à la division Foy ; deux escadrons engagèrent mal la première charge : dans un terrain couvert de jardins, de haies vives, coupé en tout sens, ils furent repoussés avec perte, et le régiment dût se retirer ne pouvant agir. Ce qui restait de la division, fort entamée par les trois attaques, se voyant sans appui, suivit la cavalerie... Et l'ennemi, la voie ouverte, achevant de gravir le coteau, s'établit à notre gauche.
Pendant ce rude combat, le mouvement sur notre droite devenait inquiétant, l'ennemi allait en outre percer notre centre. La position n'était plus tenable on attendait cependant, et le feu commença sur toute la ligne ; mais les troupes voyant la gauche reculer, la droite à demi tournée, et le centre, bien que défendu, prêt à être percé, se mirent volontairement en retraite précipitée... L'ennemi fut maître du champ de bataille.
Telle fut cette courte bataille, dans laquelle on perdit 2,500 hommes, et qui en coûta davantage à l'ennemi, attendu son grand nombre. Cette fuite, car il faut dire la vérité, dérouta tous les calculs du maréchal, calculs qui, dans ce jour, devaient lui donner l'avantage de battre vigoureusement son ennemi, même en se retirant.
M. le maréchal voulant au plus tôt arrêter ce mouvement de fuite, prit le galop avec tout son état-major, ordonnant à la cavalerie de soutenir seule la retraite, et se porta en arrière sur la rivière la Luy de Béarn, au lieu dit Sault-de-Novaille, ayant pont en bois ; il le trouva encombré de fuyards de toutes les armes, voulant passer en même temps. Remettre de l'ordre dans de semblables circonstances est et sera toujours impossible ; cependant le maréchal, pied à terre, l'épée à la main, ainsi que ses officiers, essayèrent; peines inutiles, on les culbuta... D'où provenait cette terreur ?... L'ennemi n'était pas encore là, notre cavalerie couvrait notre honte, et ces fuyards du champ de bataille avaient pris une telle avance, que les trois quarts étaient déjà reformés sur la rive opposée.
Wellington, toujours prudent, ne parut que sur les trois heures, et la division de cavalerie, ne pouvant encore passer le pont, fut forcée de se former dans la petite plaine qui le précédait ; mais tout à coup l'artillerie ennemie joua sur elle, et son feu accéléra la fuite des retardataires qui, de nouveau, ajoutèrent à l'encombrement... A ce moment, un bataillon arrivait par la rive gauche de la Luy-de-Béarn ; conscrits, en bonnets de police et capote, mais armés, ils rejoignaient le dépôt. Le maréchal s'en empara, ordonnant à son chef de se former en bataille pour barrer le pont, et d'y rester l'arme au bras jusqu'à passage complet de la cavalerie. Ces pauvres conscrits, pour la première fois, se trouvaient donc au feu, et des hauteurs occupées par l'ennemi, recevaient, ainsi que la cavalerie, les boulets et les obus.
On avait, pendant ce temps, cherché un gué; mais les adjudants-majors du 4e régiment vinrent dire au maréchal que, bien que la rivière parût guéable dans certains endroits, il était de toute impossibilité d'y descendre, attendu son encaissement par des écores de quinze à vingt pieds.
L'artillerie ennemie continuait ses feux, et le chef du bataillon des conscrits ayant obéi, représenta au maréchal que ses hommes n'avaient pas de cartouches, et que les fusils étaient garnis de pierres en bois: Tenez bon, lui dit le maréchal, votre assurance fait tout. Là, l'on vit des conscrits entendant le canon pour la première fois, voyant ses effets, rester en bataille de pied ferme, l'arme au bras, comme de vieux troupiers, sous un feu meurtrier et sans une cartouche, tandis que la masse de bons soldats, épouvantée, fuyait la giberne pleine. Elle fuyait si compacte que c'était à faire croire à une manoeuvre.
Au rapport des adjudants-majors, pas de gué, M. le maréchal dit à son frère : envoyez votre aide-de-camp en chercher un, car votre cavalerie sera foudroyée avant le pont libre ; mais où quatre officiers n'avaient rien trouvé de possible que pouvais-je découvrir?... Obéir d'abord ; je partis avec eux et fus aux lieux reconnus: effectivement, il fallait se précipiter pour arriver à l'eau, et surmonter pareil obstacle me parut également impossible, c'était se sacrifier après avoir peut-être tué son cheval. J'en avais un très docile, le même de la Bidassoa ; je le fis approcher sur le bord d'une écore en terre surplombant la rive ; là, ses quatre pieds réunis, nos deux poids cumulés entraînèrent le sol; un éboulement eut lieu, l'animal fut enterré, moi désarçonné, accroché dans un saule. Les adjudants-majors firent un seul cri, mais le mal n'était pas grand ; l'un d'eux descendit à mon secours, les autres furent chercher leur régiment ; il était temps, car l'artillerie les travaillait. A peine un escadron eut-il pris la voie de cette nouvelle route, qu'elle devint à peu près praticable ; toute la division y passa, et chaque cheval fut le parfait pionnier-sapeur.
Il fallut nécessairement suivre toute cette armée entraînant ses chefs; rien ne pouvait l'arrêter à cette place : il était temps, l'ennemi voyant le mouvement de la division fit redoubler la vivacité du feu de son artillerie, qui déjà avait fait éprouver des pertes en hommes et en chevaux. On accéléra donc le passage, qui, pendant toute sa durée, fut couvert d'obus.
Notre armée, en position sur la rive droite de la Luy-de-Bearn, observée sans être attaquée par l'ennemi, y passa la nuit, et le lendemain sa retraite continua sur Pau, par Lescar; détachant la cavalerie à Artix; quittant Pau, le maréchal marcha sur Tarbes, détachant deux divisions sur Vic-Bigorre, où l'on se battit tout une journée. »

Sources : "Souvenirs militaires du Capitaine Jean-Baptiste Lemonnier Delafosse" (1850)