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Témoignages sur la bataille d'Orthez
Mémoires du Capitaine Jean-Baptiste Lemonnier Delafosse
COMBAT de SAINT-BOES.
« M. le maréchal, tout en continuant sa retraite, ne cédait le terrain qu'après l'avoir
défendu ; c'est ainsi qu'il arrêta son armée sur les hauteurs dominant la ville d'Orthez, au lieu dit : Saint-Boès,
où, malgré l'infériorité de ses forces, il
présenta, la bataille aux masses de lord Wellington. Une
position favorable, un demi-cercle concave de mamelons, offrait un
champ de bataille très-défendable; sur chaque
monticule, comme sur des bastions, on plaça des batteries, leurs
intervalles, garnis d'infanterie en ligne, figuraient des courtines, et
l'ennemi en attaquant avait presque un siège à faire en
rase campagne.
Assise de cette sorte, notre armée devait immanquablement
être victorieuse tout en défendant sa retraite, surtout
contre des forces ennemies débouchant à notre
gauche,
forcées de gravir des coteaux, et ne pouvant de suite se
former
en ligne.
La gauche de la position de Saint-Boès
pouvait, dans cette partie, être
considérée comme
l'un des côtés du fameux plateau de Rivoli. Le
général Foy l'occupait avec sa division, bien
épaulée par des batteries d'artillerie, attendant
de pied
ferme l'ennemi, qui, bien que foudroyé à la
première attaque, n'en tenta pas moins une seconde sans
aucun
succès. Alors l'ardeur du combat, cette furia francesa,
tant de fois favorable, entraîna toute la division, qui, se
précipitant sur l'ennemi s'avança au point de
masquer les
batteries protectrices de son mouvement; seule, elle ne pût
résister, fut ramenée, mais revint à
la charge...
Ce dernier élan allait être décisif
lorsque le
général Foy, fut atteint d'une balle en pleine
poitrine,
et le commandement se trouva paralysé. Alors cette division
dût supporter tout le choc des force assaillantes...
La secourir, l'appuyer eût été
impossible sans
dégarnir la ligne de bataille préparée
à
recevoir les masses ennemies montées au-delà
d'Orthez,
gagnant déjà notre droite, pour la tourner;
d'autres,
marchaient sur notre centre la réserve trop
éloignée, le maréchal envoya le 21e de
chasseurs
à cheval à la division Foy ; deux escadrons
engagèrent mal la première charge : dans un
terrain
couvert de jardins, de haies vives, coupé en tout sens, ils
furent repoussés avec perte, et le régiment
dût se
retirer ne pouvant agir. Ce qui restait de la division, fort
entamée par les trois attaques, se voyant sans appui, suivit
la
cavalerie... Et l'ennemi, la voie ouverte, achevant de gravir le
coteau, s'établit à notre gauche.
Pendant ce rude combat, le mouvement sur notre droite devenait
inquiétant, l'ennemi allait en outre percer notre centre. La
position n'était plus tenable on attendait cependant, et le
feu
commença sur toute la ligne ; mais les troupes voyant la
gauche
reculer, la droite à demi tournée, et le centre,
bien que
défendu, prêt à être
percé, se mirent
volontairement en retraite précipitée... L'ennemi
fut
maître du champ de bataille.
Telle fut cette courte bataille, dans laquelle on perdit 2,500 hommes,
et qui en coûta davantage à l'ennemi, attendu son
grand
nombre. Cette fuite, car il faut dire la vérité,
dérouta tous les calculs du maréchal, calculs
qui, dans
ce jour, devaient lui donner l'avantage de battre vigoureusement son
ennemi, même en se retirant.
M. le maréchal voulant au plus tôt
arrêter ce
mouvement de fuite, prit le galop avec tout son état-major,
ordonnant à la cavalerie de soutenir seule la retraite, et
se
porta en arrière sur la rivière la Luy de Béarn,
au lieu dit Sault-de-Novaille,
ayant pont en bois ; il le trouva encombré de fuyards de
toutes
les armes, voulant passer en même temps. Remettre de l'ordre
dans
de semblables circonstances est et sera toujours impossible ; cependant
le maréchal, pied à terre,
l'épée à
la main, ainsi que ses officiers, essayèrent; peines
inutiles,
on les culbuta... D'où provenait cette terreur ?... L'ennemi
n'était pas encore là, notre cavalerie couvrait
notre
honte, et ces fuyards du champ de bataille avaient pris une telle
avance, que les trois quarts étaient
déjà
reformés sur la rive opposée.
Wellington, toujours prudent, ne parut que sur les trois heures, et la
division de cavalerie, ne pouvant encore passer le pont, fut
forcée de se former dans la petite plaine qui le
précédait ; mais tout à coup
l'artillerie ennemie
joua sur elle, et son feu accéléra la fuite des
retardataires qui, de nouveau, ajoutèrent à
l'encombrement... A ce moment, un bataillon arrivait par la rive gauche
de la Luy-de-Béarn ; conscrits, en bonnets de police et
capote,
mais armés, ils rejoignaient le dépôt.
Le
maréchal s'en empara, ordonnant à son chef de se
former
en bataille pour barrer le pont, et d'y rester l'arme au bras
jusqu'à passage complet de la cavalerie. Ces pauvres
conscrits,
pour la première fois, se trouvaient donc au feu, et des
hauteurs occupées par l'ennemi, recevaient, ainsi que la
cavalerie, les boulets et les obus.
On avait, pendant ce temps, cherché un gué; mais
les
adjudants-majors du 4e régiment vinrent dire au
maréchal
que, bien que la rivière parût guéable
dans
certains endroits, il était de toute
impossibilité d'y
descendre, attendu son encaissement par des écores de quinze
à vingt pieds.
L'artillerie ennemie continuait ses feux, et le chef du bataillon des
conscrits ayant obéi, représenta au
maréchal que
ses hommes n'avaient
pas de cartouches, et que les fusils étaient
garnis de pierres en
bois:
Tenez bon, lui dit le maréchal, votre assurance fait tout.
Là, l'on vit des conscrits entendant le canon pour la
première fois, voyant ses effets, rester en bataille de pied
ferme, l'arme au bras, comme de vieux troupiers, sous un feu meurtrier
et sans une cartouche, tandis que la masse de bons soldats,
épouvantée, fuyait la giberne pleine. Elle fuyait si
compacte que c'était à faire croire à
une
manoeuvre.
Au rapport des adjudants-majors, pas
de gué,
M. le maréchal dit à son frère :
envoyez votre
aide-de-camp en chercher un, car votre cavalerie sera
foudroyée
avant le pont libre ; mais où quatre officiers n'avaient
rien
trouvé de possible que pouvais-je découvrir?...
Obéir d'abord ; je partis avec eux et fus aux lieux
reconnus:
effectivement, il fallait se précipiter pour arriver
à
l'eau, et surmonter pareil obstacle me parut également
impossible, c'était se sacrifier après avoir
peut-être tué son cheval. J'en avais un
très
docile, le même de la Bidassoa ; je le fis approcher sur le
bord
d'une écore en terre surplombant la rive ; là, ses quatre pieds réunis, nos deux poids cumulés
entraînèrent le sol; un éboulement eut
lieu,
l'animal fut enterré, moi
désarçonné,
accroché dans un saule. Les adjudants-majors firent un seul
cri,
mais le mal n'était pas grand ; l'un d'eux descendit
à
mon secours, les autres furent chercher leur régiment ; il
était temps, car l'artillerie les travaillait. A peine un
escadron eut-il pris la voie de cette nouvelle route, qu'elle devint
à peu près praticable ; toute la division y
passa, et
chaque cheval fut le parfait pionnier-sapeur.
Il fallut nécessairement suivre toute cette armée
entraînant ses chefs; rien ne pouvait l'arrêter
à
cette place : il était temps, l'ennemi voyant le mouvement
de la
division fit redoubler la vivacité du feu de son artillerie,
qui
déjà avait fait éprouver des pertes en
hommes et
en chevaux. On accéléra donc le passage, qui,
pendant
toute sa durée, fut couvert d'obus.
Notre armée, en position sur la rive droite de la Luy-de-Bearn,
observée sans être attaquée par
l'ennemi, y passa la nuit, et le lendemain sa retraite continua sur Pau, par Lescar;
détachant la cavalerie à Artix; quittant
Pau, le maréchal marcha sur Tarbes,
détachant deux divisions sur Vic-Bigorre, où l'on
se battit tout une journée. »
Sources
:
"Souvenirs militaires du
Capitaine Jean-Baptiste Lemonnier Delafosse" (1850)
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