Bataille d'Orthez - 27 février 1814

 

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Témoignages sur la bataille d'Orthez

 

Jean-Phillipe Pellot
(Commissaire des guerres)

 

« Le 25, l’ennemi parait sur les hauteurs de Magret et de Départ, avec une batterie de 6 pièce de canons, qui tire sur Orthez et sur nos troupes, qui se formaient en arrière de la ville. En même temps une fusillade assez vive s’engage au pont d’Orthez. L’ennemi perd 2 à 300 hommes, et nous en avons une centaine hors de combat.
    Ces bons habitans d’Orthez furent bien surpris et bien effrayés des coups de canons qu’on tirait sur leur ville, au moment où ils s’y attendaient le moins. Les boulets et les obus traversaient les rues, ou passaient par-dessus les toits : cependant comme le feu était principalement dirigé sur nos masses, il y avait moins de dangers dans la ville que sur les hauteurs situées au delà. La fusillade du pont dura toute la journée.
    Le 26, le rapport fut fait au Duc de Dalmatie, que l’ennemi avait commencé, dès la veille, à effectuer le passage du Gave de Pau au gué de Lahontan et à celui de Cauneille. Le 15ème chasseurs à cheval était charger de garder le Gave de Pau depuis Puyo jusqu’à l’Adour : le colonel de ce régiment, qui est cependant un militaire très brave et très distingué, crût devoir quitter lui-même sa troupe pour faire son rapport au maréchal, qui le blâma de ne pas être resté à son poste, et de ne pas s’être borner à lui dépêcher un officier. L’ennemi débouchait aussi par la route de Salies et par les hauteurs de Sainte-Suzanne, pour gagner le gué qui est au dessous de Bourenx. Il marchait sur nous par toutes ces directions, et parvint à se former sur la plateau qui est en avant de Baigts. Nous n’avions pas de temps à perdre pour prendre nos dispositions et attendre l’ennemi. Nos troupes furent en mouvement pendant toute la nuit.
    On entreprit aussi de faire sauter le pont d’Orthez, afin de ne pas avoir d’inquiétude sur ce passage, et de pouvoir disposer des troupes qui le défendaient ; mais l’opération, quoique entreprise deux ou trois foi, ne put réussir complètement, le pont offrant un massif qui paraissait ne former qu’une seule pierre, et qui résistait à l’effet de la poudre. Il est vrai que les troupes du génie qui travaillaient à saper les voûtes, étaient sous le feu des tirailleurs ennemi, et qu’elles étaient obligées de se tenir à fleur d’eau  pour n’en être pas aperçues.
    Enfin, le 27 février 1814 fut le jour qui éclaira la bataille d’Orthez, dont le souvenir peut être rappelé avec orgueil par tous les militaires, sans exception, qui ont eu l’honneur de s’y trouver.
    Faisons connaître nos positions :
    Deux divisions (la 4ème et la 5ème), sous les ordres du comte Reille, occupaient les hauteurs du village de Saint-Boës, appuyant la droite à ce village, et prolongeant la route qui mène à Dax.
    Les troupes commandées par le général Paris formaient la réserve du comte Reille.
    Deux divisions (la 1ère et la 2ème), sous les ordres du comte d’Erlon, qui étaient en position à cheval de la grande route de Bayonne, s’établissent à la naissance des contre-forts en arrière de leur droite, dans l’objet de soutenir au besoin, le comte Reille, et d’empêcher l’ennemi de se porter sur Orthez.
    Une division (la 6ème), sous les ordres du général Villatte, placée sur les hauteurs à droite du village de Rontun. Cette division formait une nouvelle réserve pour appuyer soit le comte Reille, soit le comte d’Erlon, soit enfin de comte Harispe, qui était chargé avec la 8ème division de défendre le ville d’Orthez.
    Les troupes aux ordres du comte Harispe étaient échelonnées en arrière de la ville, et se liaient à celles de la 6ème division.
    Le lieutenant-général Clausel avait le commandement de la division Villatte et de la division Harispe.
    Ainsi on peut s’assurer sur la carte, que notre petite armée appuyait sa droite au village de Saint-Boës, et sa gauche à la ville d’Orthez.
    Au point du jour, tout le monde était à son poste.
    L’ennemi n’attaqua qu’à 9 heures du matin, et ce sut sur la droite du village de Saint-Boës que les premiers coups de fusil se tirèrent. Le 12ème d’infanterie légère, qui était sur ce point, se conduit avec valeur.
    Bientôt l’attaque devient générale. La 4ème division, qui occupait l’extrême droite, et la 1ère division qui était en avant du centre, résistèrent pendant plus de trois heures à tous les efforts de l’ennemi. La partie du village de Saint-Boës, où nos troupes étaient, fut prise et reprise cinq fois. Dans une de ces charges, le général de brigade Béchaud est tué. Le général de division Foy, qu’on a toujours vu se signaler au champ d’honneur, se battait comme un lion à l’attaque d’un mamelon, d’où il repoussait l’ennemi en désordre, quand un coup de feu le blesse grièvement et le met hors de combat. Cet accident fit une telle impression du sa division, qu’on s’en aperçut d’abord à sa contenance. C’est le plus bel éloge qu’on puisse faire d’un général. Cette division, dans ce moment d’hésitation et de regrets, se rapproche de la ligne ; et le comte Reille, par l’effet de ce mouvement, est forcé de céder un peu de terrain sur sa droite.
    Dans cette seconde position, le combat continue avec acharnement et sur place. Notre troupes ne bougeaient que des murailles, et paraissaient faire un exercice d’inspection.
    Le comte Harispe était engagé sur le front d’Orthez et sur sa gauche, où une colonne ennemie parvint à passer le Gave à un gué au dessus de Souars, quoiqu’un bataillon du 115ème de ligne eût été posté là pour défendre ce passage. Ce bataillon est forcé de se retirer devant la colonne ennemie, qui marchait sur notre gauche, en menaçant la communication de Sallespice.
    Le comte Harispe était dans une situation critique, quand le mouvement que le comte Reille avait été obligé de faire sur sa droite, ainsi qu’on l’a vu, donne à l’ennemi la faculté de déployer plus de troupes : de nouvelles masses toutes fraiches se présentent devant la division Foy, et nos corps de réserve se mettent en ligne.
    Au fort de l’affaire, le général de division Soult fait charger un escadron du 21ème chasseurs par la grande route d’Orthez. Cette charge fut exécutée à fond avec la plus grande impétuosité, et un bataillon ennemi se trouva pris, mais l’escadron, emporté par un excès d’ardeur et de joie, s’engage dans un autre chemin en revenant dans nos lignes : l’ennemi qui s’aperçoit de son erreur, en profite, et fait presque à bout portant, et sur les derrière de notre cavalerie, un décharge affreuse de mousqueterie : l’escadron, forcait d’abandonner ses prisonniers, parvient cependant à reprendre la grande route.
    Le duc de Dalmatie, qui pendant toute l’affaire était exposé au feu au centre des divisions, reçoit un rapport du général Harispe, et court reconnaître la marche de la colonne ennemie qui avait passé le gué au dessus de Souars. Il voit d’un coup d’œil que l’armée qu’il commande ne peut, sans s’exposer à être débordée, se maintenir plus longtemps dans ces positions ; et la retraite sur Sault-de-Navailles est ordonnée.
    Dès la veille, le maréchal, jugeant qu’il serait obligé de céder sa position à un ennemi qui avait à lui opposer des forces si supérieures, indiqua aux lieutenans généraux Sault-de-Navailles comme route qu’on devait prendre : aussi cet ordre de mouvement n’eut-il rien d’imprévu ni d’inquiétant.
La droite commence le mouvement rétrograde, et nos lignes se replacent successivement dans l’ordre le plus parfait, et en faisant face à l’ennemi : l’artillerie les protège. Nous continuons ainsi à nous battre par échelons ; et nous arrivons, avant la nuit, sur la rive droite du Luy-en-Béarn, heureux de cette journée.
    Nos pertes en hommes ors de combat s’élevèrent au nombre de 2,500, parmi lesquels nous eûmes à regretter plusieurs officiers supérieurs. Quatre pièces de canons, un obusier et deux caissons vides, restèrent au pouvoir de l’ennemi ; mais il n’est pas superflu de faire observer que les chevaux des trois pièces furent tous tués, et que les timons des caissons tous rompus. Quand aux deux autres pièces, elles se sont trouvé engagées.
    On conçoit que nous ne pouvons donner que par approximation les pertes de l’ennemi ; mais quand on saura que la habitans d’Orthez attestent qu’il y avait dans leur ville, le soir même de la bataille, environ 4,000 blessés des troupes alliées, on pourra croire que nous n’exagérerons pas en disant que l’ennemi doit avoir perdu 6,000 hommes.  Lord Wellington reçut, dit-on, une forte contusion à la cuisse.
    Mais, avant de nous éloigner d’Orthez rendons, au nom de l’armée, aux habitans, le tribut de reconnaissance qui est dû aux secours et aux soins touchant qu’ils ont donnés à nos blessés. L’armée française a vu aussi avec plaisir qu’ils avaient signalé leur humanité à l’égard des blessés ennemis. Mais ils firent mieux, ils favorisèrent l’évasion de plusieurs de nos prisonniers, en les affublant d’une espèce de camisole à la mode dans le pays, à l’abri des quelles ils traversèrent les lignes ennemies comme bons paysans, et rejoignirent nos troupes.
    Les conscrits de nouvelle levée se battirent à Orthez comme de vieux soldats, et pas un d’eux ne courba seulement la tête au premier feu. C’est un témoignage que tous les officiers leur ont rendu. Mais après la bataille, et dans notre marche rétrograde, l’esprit de désertion s’empara d’eux : chacun s’en allait chez soi comme si la paix était faite. Le maréchal donna des ordres dans toutes les directions, pour ramener ces conscrits sous les drapeaux qu’ils avaient si vaillamment défendus à la journée d’Orthez ; et on eut plus de peine à les faire rejoindre qu’à les faire battre.
    En arrivant à Hagetmau, dans la nuit du 27 au 28, le duc de Dalmatie fit savoir par un piéton dévoué, au général de division Darricau, qui était à Dax, les résultats de la bataille d’Orthez, et lui donna l’ordre de sortir de la ville avec quelques compagnies qu’il avait, et de manœuvrer comme il le jugerait convenable pour échapper à l’ennemi dont il était débordé par toutes les directions. Ce général avait été envoyé à Dax, soit pour mettre ce point à l’abri d’un coup de main, soit pour l’organisation des gardes-nationales du département des Landes. C’était un des meilleurs généraux de l’armée, et nous craignions qu’il ne fût perdu pour elle. Cependant le baron Darricau rassemble sa petite troupe, se met à sa tête, et s’engage dans les grandes Landes de Bordeaux, vastes plaines incultes qu’on est tout étonné de trouver en France ; et s’il était permis de comparer les petites choses aux grandes, cette retraite du général Darricau, au milieu des sables, rappellerait la marche du législateur des juifs dans le désert, ou la retraite des dix mille. Il a le bonheur d’arriver à Langon sans avoir essuyé de pertes, et de se trouver plus tard à la bataille de Toulouse. »


 

Sources : "Mémoires d'un commissaire des guerres sur la campagne d'Espagne (1813-1814)" - Jean-Phillipe Pellot - Bayonne (1818) - Ré-édition 2007